Theobroma bicolor et grandiflorum: peut-on en faire du chocolat ?

Theobroma bicolor

Saviez-vous que le cacao a des cousins ? Theobroma biocolor et grandiflorum sont les plus connus. Si ces fruits tropicaux partagent une parentée commune avec le cacao, est-il alors possible d’en faire du chocolat et quel serait son goût ? Légalement ces produits ne peuvent pas être appelés chocolat, car ce dernier doit être composé de cacao, donc de theobroma cacao. Gustativement, c’est une autre histoire… A travers trois tablettes de producteurs différents, je vous propose de découvrir ces « chocolats » de Theobroma biocolor et grandiflorum. Une occasion rare pour découvrir des univers gustatifs complètement atypiques.

Tablette de chocolat aux inclusions de cupuaçu de Mission chocolate, Lion de Barbon (chocolat de Theobroma Bicolor) et Cupulate de la Brigaderie Paris (chocolat de Theobroma Grandiflorum)
De gauche à droite : tablette de chocolat classique aux inclusions de cupuaçu de Mission chocolate, Lion de Barbon (chocolat de Theobroma Bicolor) et Cupulate de la Brigaderie Paris (chocolat de Theobroma Grandiflorum).

Theobroma bicolor, le chocolat qui n’en était pas un

Aussi appelé mocambo, arbre jaguar, balamte ou pataxte, le theobroma bicolor est un fruit à l’apparence plus rustique que celle du cacao. Partie prenante des cultures précolombiennes, il était consommé et utilisé dans la cuisine. Les Européens semblent l’avoir moins apprécié et ne l’ont pas exporté massivement comme le cacao.

Aujourd’hui, certains artisans bean-to bar l’apprivoisent pour le transformer en tablette, à l’instar du cacao. C’est le cas de Barbon, à Montréal au Canada, avec son Lion 85% du Mexique. Une création à partir de theobroma bicolor, de sucre et de beurre de cacao comme un « chocolat » classique. Toutefois, la présence de vanille et de sapote rendent difficile de savoir quel serait le goût du bicolor seul.

Barbon Lion, chocolat de Theobroma bicolor
Notes de dégustation du Lion de Barbon
La robe est oscille entre le beige et le blond caramel. Le nez dégage une impression sucrée sur un lit de tourbe. Sensation improbable. La casse est molle, presque inaudible. Le croquant est un peu plus sonore. En bouche, les papilles sont perdues. Cette impression tourbée est toujours là, soulignée petit à petit par des notes de noisettes, de cajou et de noix du Brésil, dégageant une impression de crème de marrons. Le tout est très rond, sans âpreté, ni amertume ou acidité. Particulièrement doux. La texture est très grasse et le fondant lent, presque pâteux, contribuant à ce sentiment d'ovni gustatif. L’ensemble conserve une très belle longueur aux accents de gianduja. Inclassable, l'envie de goûter à nouveau taraude les papilles.

Theobroma grandiflorum, chocolat… ou pas

Un peu plus connu sous son autre nom de cupuaçu, le theobroma grandiflorum est un autre cousin comestible du cacao. D’apparence brunâtre, presque terne en comparaison des couleurs des cabosses de cacao, ce fruit est encore consommé dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Il reste pourtant méconnu sous nos latitudes. Une situation qui pourrait changer en raison de l’engouement pour les produits atypiques. En France, c’est la Brigaderie de Paris avec son cupulate — agglutinement de « cupuaçu » et « chocolate » — qui propose une interprétation du theobroma grandiflorum en tablette.

Brigaderie Paris Cupulate, chocolat de Theobroma grandiflorum
Notes de dégustation du Cupulate de la Brigaderie de Paris 
La robe marron aux accents acajou pourrait le faire passer pour un chocolat au lait. Au nez, le doute s'installe. Les notes épicées intenses vont titiller la curiosité des sens jusqu'au fond de la gorge. Le casse est très molle, complètement insonore, le croquant absent. En bouche, c'est l'explosion. Très fondante la tablette distille des notes de cuir, d'épices, de noix et un je ne sais quoi de fruité. Le tout dans un équilibre parfait sans surcharger les papilles, tout en les épatant. En trame de fond apparaît lentement une sensation d'intensité, qui fait écho à l'amertume du chocolat sans en être à proprement parler. La longueur distille du fruit et garde cette belle tension gustative. Magistral.

Point intéressant, seul du sucre vient relever le goût de cette tablette composée à 70% de cupuaçu. La richesse gustative provient donc uniquement du fruit. Preuve, s’il fallait, du potentiel gustatif des fruits originaires d’Amazonie

Chocolat aux inclusions de cupuaçu

Une autre approche consiste à inclure du cupuaçu à du chocolat classique. C’est une option choisie par la Brigaderie de Paris pour une autre de ses tablettes, mais aussi par Mission chocolate. Ce producteur bean-to-bar est situé à Sao Paulo au Brésil où le fruit fait partie de la culture.

Mission Chocolate, chocolat avec inclusion de cupuaçu
Notes de dégustation du Cupuaçu de Mission Chocolate
La robe brune est parsemée de morceaux de cupuaçu séché. Le nez est chocolaté avec un je ne sais quoi de fruit. Le casse est bridée par les morceaux de fruit et le croquant discret. En bouche, c'est d'abord l'intensité du chocolat qui frappe avant d'être rejointe par la sucrosité du fruit. Le chocolat apporte l'onctuosité de sa texture et gagne à se laisser fondre en bouche. La longueur est appréciable. Une approche beaucoup plus classique, mais aussi beaucoup plus facile à aborder.

Cette interprétation des inclusions de cupuaçu rappelle celle du cascara par Baiani, autre producteur brésilien, mais avec plus de talent. L’équilibre entre le chocolat et les inclusions est meilleur. Toutefois, l’accord entre les deux produits reste quelque peu en deçà des deux autres tablettes en terme de richesse gustative. Cacao et cupuaçu coexistent harmonieusement sans pour autant se sublimer l’un l’autre.

Hybridation de theobroma pour des chocolats uniques

La proximité des fruits des différents theobroma permet aussi d’expérimenter d’autres démarches, comme l’hybridation des arbres de cacaoyer avec leurs cousins. Ces croisements sont probablement à l’origine des fèves sauvages utilisées par exemple par Qantu pour réaliser son incroyable Trésor caché. Une autre possibilité consiste à mélanger les fèves de cacao avec celles d’autres theobroma. Une solution également explorée par Barbon dont je vous partagerai prochainement le résultat.

Reste une question en suspens : ces créations atypiques valent-elles la peine ? Que ce soit le theobroma bicolor ou grandiflorum, leurs « chocolats » sortent des sentiers battus. A ce titre, il sont un must pour tout curieux. Personnellement, il y a fort à parier que mes papilles se laissent à nouveau tenter par l’expérience. Toutefois, ces produits restent rares et risquent de décevoir ceux qui cherchent à répondre à une pulsion gourmande et régressive. Heureusement, dans ce domaine, theobroma cacao s’en sort très bien.

Chocolat Cabernet par Manufaktura Czekolady de Łomianki en Pologne

Chocolat Cabernet par Manufaktura Czekolady en Pologne
  • Fèves : non-mentionnées
  • Producteurs de cacao : non-mentionné
  • Origine : non-mentionnée
  • Pourcentage : 63%
  • Inclusions : peaux séchées et pépins de raisins polonais

Notes de dégustation du chocolat Cabernet par Manufaktura Czekolady de Pologne

La robe est sombre, brun foncé. Le nez distille clairement des notes épicées de noix de muscade et de poivre de Jamaïque. La casse est claire, tout comme le croquant. En bouche, les notes de bananes et d’épices ouvrent le bal. Suit le goût caractéristique des pépins de raisins, qui se marie parfaitement à l’ensemble. L’impression chocolatée sert de trame à l’ensemble. La texture cassante prend petit à petit de l’ampleur et renforce le sentiment d’un vin rouge léger que donne la tablette. Elle donne du corps au chocolat. La finale diffuse une sensation de fruits rouges, légèrement acidulés, presque d’airelles. La longueur est lisse et recouvre particulièrement la langue, laissant une impression presque tannique. Bien plus tard, ce sont des notes de caramel qui ressortent. Une tablette inclassable.

Le petit plus : Goûtez un carré ou deux avant le repas, à l’heure de l’apéro, avec un mini-bretzel salé. Ensuite, réitérez l’expérience en fin de repas avec un bleu léger. Qui a dit que le chocolat ne pouvait pas remplacer le vin ?

Chocolat Cabernet par Manufaktura Czekolady en Pologne
Chocolat Cabernet par Manufaktura Czekolady… en Pologne ! Un chocolat aussi improbable qu’intéressant.

Un chocolat qui surprend

Saviez-vous que la Pologne produit du chocolat et du raisin ? Effectivement, il y a de quoi être surpris. Si le cacao vient d’ailleurs, le raisin est local. Il semblerait que les pépins et les peaux de raisins soient ajoutés aux fèves de cacao lors du broyage. C’est pourquoi le raisin imprègne directement la masse ainsi produite. Ainsi, pour cette création, Manufaktura Czekolady utilise trois cépages différents poussant en Pologne. Vu son nom, il est raisonnable d’espérer que ce chocolat cabernet en contienne.

Malheureusement, le producteur ne fournit pas plus d’information sur les fèves ou les raisins. Comme par exemple, d’où vient le raisin et ou comment a débuté la collaboration avec le caviste mentionné sur l’emballage. L’opportunité manquée de raconter une histoire hors du commun.

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande mon article sur la dégustation vin et chocolat.

La note du sommelier
C'est la curiosité qui m'a poussé à goûter cet ovni chocolaté. Un choix que je ne regrette absolument pas. Une fois encore, grâce à leur approche décomplexée, les producteurs des pays sans tradition chocolatée, et encore moins viticole, osent casser les codes. Ils expérimentent et ça fait du bien. Certes, ce genre de curiosité apporte aussi parfois sont lot de déceptions, mais pas cette fois.

Wild Orange & Lemon Poppy par Terroir Chocolate à Fergus Falls (MN) aux USA

Terroir Chocolate lemon poppy et wild orange
  • Cacao : non spécifié
  • Inclusions : huile essentielle d’orange pour le noir et graines de pavot et huile essentielle de citron pour le blanc
  • Pourcentage : 70% pour le noir et non spécifié pour le blanc

Notes de dégustation

Wild Orange : Très sombre pour un 70%, la tablette sent bon le chocolat avec seulement une pointe orangée. En bouche, l’orange prend de suite le relais, sans que le chocolat intense ne soit en reste. L’équilibre fonctionne. Une impression gourmande de bonbon envahit les papilles et se distille de façon linéaire. Un peu court, on en redemande et la tablette disparaît très vite… Le cacao mériterait d’être travaillé avec plus de finesse et avec une torréfaction moins intense pour mieux compléter l’orange.

Lemon Poppy : Avec ses petits carrés constellés de graines de pavot, la tablette ne demande qu’à être goûtée ! Au nez, le citron se laisse deviner. Sur la langue, l’onctuosité du beurre de cacao distille petit à petit les notes de citron et finalement le pavot vient clore la marche avec, étonnement, beaucoup de douceur. Les grains savent se faire discrets en terme de texture, peut-être un peu trop pour ceux qui apprécient leur croquant.

Mais encore… Wild Orange & Lemon Poppy par Terroir Chocolate

Le mouvement bean-to-bar est particulièrement développé aux États-Unis et il n’est pas rare de trouver des chocolatiers loin des grandes métropoles, comme ici dans le Minnesota dans ce qu’il convient d’appeler « au milieu de nulle part ». Ainsi, la richesse de cet écosystème chocolaté permet d’y rencontrer des pépites, mais aussi d’y trouver des produits plus « simples ». Ces deux tablettes en sont une excellente illustration : sans prise de tête, sans grandes prétentions, elles remplissent à merveille leur mission qui est de satisfaire la gourmandise. Reste peut être le nom mêlé de français de la marque, Terroir Chocolate, qui se veut plus chic qu’il ne l’est réellement. Finalement, des chocolats régressifs qui permettent d’éviter de devoir recourir aux produits des industriels tout en étant labellisés bio, alors pourquoi pas ?