Irene Chetschik, l’alchimiste du chocolat

Irene Chetschik, entre chocolat et chimie.

Irene Chetschik et le chocolat, une histoire fascinante. La chercheuse est responsable du groupe de recherche « Chimie de la nourriture » à l’Université des sciences appliquées de Zurich. L’approche sensorielle de la chimiste est riche d’enseignements. Irene Chetschik a eu la gentillesse de partager sa passion lors d’un entretien. L’occasion d’entrevoir les futurs possibles du chocolat grâce à la perspective de la science des molécules.

Irene Chetschik, comment devient-on une chimiste spécialiste du chocolat ?

Il y a presque vingt ans, j’ai fait un doctorat en chimie des arômes alimentaires à l’Université technique de Munich, en Allemagne. Après, j’ai travaillé durant cinq ans pour différentes entreprises privées en Suisse et en Europe, mais la liberté de la recherche académique me manquait. C’est pourquoi, lorsque l’opportunité de revenir dans ce milieu s’est présentée, je n’ai pas hésité. C’est comme ça que je me suis retrouvée à l’Université des sciences appliquées de Zurich, la ZHAW.

Mon travail scientifique consistait à mettre en place des outils d’analyse pour caractériser les arômes du chocolat au niveau moléculaire. Je réalisais ce travail dans le cadre d’un projet en collaboration avec une entreprise qui fabriquait du chocolat selon un nouveau procédé. Avec mes outils, mon équipe et moi avons pu caractériser de nombreux chocolats fabriqués avec le nouveau procédé ou classiques et à partir de différents cacaos. C’était très intéressant de voir que de nombreux composants actifs en termes d’odeur étaient présents dans tous les chocolats. Seules leurs abondances changeaient, créant ainsi les différents profils aromatiques. D’un point de vue sensoriel, on pouvait les décrire comme fruités, floraux ou intensément cacaotés.

Ça m’a donné l’idée de créer un kit des odeurs clés du cacao. Il contient les vingt-cinq molécules principales responsables des arômes du chocolat. C’est en quelques sorte l’ADN aromatique du cacao et du chocolat. En effet, ces composants sont toujours présents, mais en quantités différentes. C’est la conséquence des différentes variétés et origines de fèves, ainsi que des étapes de transformation le long de la chaîne de valeur du cacao.

Kit sensoriel du chocolat de la ZHAW
Kit pour se former à l’analyse sensorielle du chocolat développé par Irene Chetschik et ses collègues à la ZHAW. Crédit photo : ZHAW.

Vu la complexité gustative du cacao, 25 composants, cela semble peu. Comment avez-vous fait pour les identifier ?

Effectivement, il s’agît des 25 composés volatils principaux et caractéristiques du chocolat. En réalité, il y a près de 600 molécules volatiles différentes détectées dans les différents produits du cacao et le chocolat. Toutefois, toutes ces molécules ne contribuent pas de façon significative à l’arôme global du cacao et du chocolat. De plus, les récepteurs sensoriels de notre nez ne réagissent qu’à une petite fraction de ces molécules pour produire le goût du cacao et du chocolat. C’est peu pour une saveur aussi délicieuse.

Pour détecter les composants clés, nous utilisons une technique appelée olfactométrie chromatographique gazeuse, abrégée OCG. Avec l’aide de nez humains, cette méthode permet d’identifier les éléments jouant un rôle actif dans la nuée de ceux sans odeur. En effet, notre nez est toujours un des détecteurs les plus puissants. Ainsi, l’humain peut aisément détecter certains composés présents à l’état de traces – de l’ordre de la partie par milliard, voire moins. En comparaison, un instrument de mesure même très sensible n’y parvient que difficilement.

Irene Chetschik, comment les personnes participant aux recherches reconnaissent les bonnes molécules du chocolat ?

En effet, cette approche implique de former des gens à reconnaître les composés odorants. C’est à cela que sert notre kit. Grâce à cet entraînement, l’analyse OCG d’échantillons de chocolats permet d’identifier la présence de composants actifs. Cette étape est indispensable pour décoder le profil aromatique du cacao et du chocolat au niveau moléculaire. Ainsi, nous pouvons comprendre quel est le composé le plus important dans l’impression globale d’un produit.

De même, nous pouvons aussi détecter quel élément odorant est le plus puissant dans les ingrédients bruts. Grâce à cela, puis en quantifiant l’élément, nous pouvons avoir une idée de la façon dont l’ingrédient a été transformé. C’est pourquoi, le kit peut aussi servir à former un panel de testeurs. Ainsi, il est possible de reconnaître les saveurs spécifiques d’échantillons de cacao et de chocolat. A la ZHAW, nous l’utilisons également dans nos cours expliquant la création des arômes tout au long de la chaîne de valeur du cacao.

Irene Chetschik, entre chocolat et chimie.
Irene Chetschik analyse les composés volatils du chocolat après les avoir séparés par la méthode dite de l’OCG. Crédit photo : ZHAW.

Les arômes du chocolat semblent bien connus, reste-t-il encore les sujets de recherche à explorer ?

Bien sûr. Par exemple, nous préparons une demande de financement pour un nouveau projet. Nous voulons appliquer nos méthodologies à différentes variétés et origines de cacao. Le but est de comprendre leur influence sur le profil gustatif du cacao et du chocolat.

Par ailleurs, nous avons commencé à étudier les constituants aromatiques des graines de Theobroma grandiflorum, qui pourrait être utilisé comme substitut au cacao. Avec les prix du cacao qui ont explosés cette année, l’industrie est à la recherche d’alternatives capables de produire le même goût savoureux que celui du cacao. De plus, Theobroma grandiflorum est un cousin du cacao supposé mieux résister à la sécheresse.

En outre, nous continuons à travailler sur une méthode appelée incubation du cacao. Le but est de trouver une alternative à la fermentation traditionnelle après la récolte. Le procédé actuel est laborieux et difficile à contrôler. Au contraire, l’incubation du cacao est facile à répliquer et produit des fèves avec peu d’amertume et une forte intensité de notes fruitées et florales. Au-delà du cacao, nous nous intéressons aussi à la vanille et aux composés odorants du chanvre, ainsi qu’aux alternatives à base de plantes pour les œufs. Nos méthodes s’appliquent à toutes sortes d’ingrédients de base.

Finalement, ces recherches ne sont-elles pas trop subjectives lorsqu’il s’agît d’évaluer les propriétés sensorielles d’un produit ? Chacun perçoit les goûts à sa façon…

Je vois notre travail comme un outil pour comprendre les profils aromatiques de différents aliments au niveau moléculaire. Même si le goût est quelque chose de subjectif, il y a des molécules spécifiques responsables de la perception d’une saveur spécifique. Notre tâche consiste à comprendre quel composant joue un rôle dans cette perception. Cette connaissance est utile pour développer et améliorer de nouveaux processus et produits.

De plus, dans plusieurs de nos expériences, par la préparation de modèles gustatifs basés sur nos données, nous avons montré que les profils odorants des ingrédients bruts pouvaient être reproduits avec succès. Grâce à nos recherches, certaines controverses, comme l’influence des composants sans odeur sur la perception humaine, sont résolues, tout du moins en partie.

Le travail d’Irene est inspirant. Sur la base de son kit sensoriel, j’ai créé un poster sur l’origine des arômes du chocolat. Il permet aux amateurs de comprendre l’impact des étapes de la fabrication sur le goût d’une tablette. A retrouver sur la boutique.

La note du sommelier
Irene Chetschik, entre chocolat et sciences. Aussi brillante que passionnée, la chimiste construit un pont entre compréhension du cacao et notre plaisir à le transformer et le manger sous forme de chocolat. La chercheuse m'a impressionné par son engagement. L'analyse des odeurs est devenue une seconde nature. Elle entraîne continuellement son odorat, comme un jeu. Et après toutes ces années, elle trouve toujours le cacao relaxant. De son propre aveu, ce n'est pourtant pas chose facile. Les doctorantes et doctorants qu'elle forme à l'analyse sensorielle butent souvent sur le travail de bénédictin que cela demande. Si les nez des parfumeurs devaient avoir leur équivalent dans le monde du chocolat, Irene Chetschik en serait sans aucun doute l'incarnation.

Le meilleur chocolat, les prix reçus valent-ils quelque chose ?

Meilleur chocolat du monde selon les International Chocolate Awards

Le concours du meilleur chocolat fait briller les yeux. Pouvoir goûter du chocolat primé donne envie. Tout comme pour le vin, ce genre les prix permettent de gagner en visibilité, voire de faire augmenter les ventes. Mais est-ce un bon indicateur? Ces chocolats sont-il réellement les meilleurs ? Ayant eu la chance de faire partie de différents jurys, je partage quelques observations sur les coulisses de la gourmandise.

Concours spécifiques au meilleur chocolat

Probablement les plus connus, les International Chocolate Awards se décrit comme le plus grand concours sur le sujet. L’International Institute of Chocolate Tasting est à l’origine de cette démarche. L’Academy of Chocolate est l’autre grand concours international et regroupe également des professionnels du chocolat. De nombreux producteurs bean-to-bar tentent leur chance dans ces concours pour se faire une idée quant à la qualité de leur travail.

Les deux concours sont relativement récents. Créées respectivement en 2012 et 2005 et basées à Londres, les structures d’organisation sont anglophones. Malgré leur caractère particulièrement international en termes de participations, ces concours représentent une certaine vision occidentale du chocolat. Néanmoins, leur approche basée sur le goût leur permet d’évoluer en même temps que le marché. Ainsi, les chocolats récompensés restent très actuels. De même, en mettant en avant le lien entre qualité du cacao et résultat final, ces concours priment des produits aux standards réellement élevés.

En termes de reproches, l’approche très segmentée – par origine, par type de chocolat, etc. – s’avère parfois problématique. Si les nombreux prix encouragent les participations, le public y perd parfois son latin. En outre, le prix reçu une année donnée reste souvent mentionnés sur les tablettes ultérieures. Après quelques temps, les « meilleurs chocolats » ne proviennent plus des fèves de cacao de la même récolte. Finalement, pour ce qui est des jurys sollicités, le processus de sélection pourrait gagner en transparence.

Des prix locaux, corporatifs ou plus généraux

Au-delà des compétitions internationales, il existe aussi un bon nombre d’autres concours. Il est possible d’en distinguer trois types : ceux plus généraux, par exemple sur le goût, ceux par filière et ceux consacrés uniquement au chocolat au niveau plus local. Chacun a ses points forts et ses points faibles.

Le jury du Great Taste évalue des produits très différents.
Le jury du Great Taste évalue des produits très différents. Le chocolat n’en est qu’un parmi d’autres. DR, Great Taste.

Les concours dédiés à des thématiques plus larges telles que la cuisine, la durabilité ou encore l’artisanat ont l’avantage de mettre le chocolat sur le devant de la scène, mais n’offre que peu ou pas de garantie quant à la qualité du chocolat en tant que tel. En effet, le jury doit souvent faire le grand écart entre des produits très différents et manque de compétences propres au chocolat. Les concours corporatifs, comme les Meilleurs ouvriers de France, sont intéressant pour juger de la réalisation technique. En revanche, à suivre des canevas très (trop?) rigides, le jury manque souvent de compétence en termes gustatifs et de connaissance du cacao.

Finalement, les concours chocolatés locaux sont très divers. Outre des jurys très bariolés, ils s’appliquent à des situations très différentes. Ainsi, en Suisse, le Rallye du Chocolat qui ne primait que des bonbons et des ganaches a petit à petit évolué. En effet, avec l’émergence d’une communauté bean-to-bar helvétique, le concours inclut aussi une catégorie dédiée. En revanche, d’autres prix, par exemple décernés par une ville, seront généralement joués à guichets fermés, c’est-à-dire uniquement entre els chocolatiers de la ville.

Le meilleur chocolat aux yeux du public

Si ces meilleurs chocolats sont décrétés par des jury, il existe également des prix du public. Parfois, les chocolats qui ont les faveurs du jury sont aussi plébiscités par le public, mais ce n’est pas toujours le cas. Plusieurs raisons à cet écart. D’une part, les conditions de dégustation divergent fondamentalement. D’autre part, les critères de sélection sont rarement similaires. Ainsi, le jury évalue un chocolat selon des critères définis. Le public opère généralement par préférence. Bien sûr, les membres du jury ont aussi leurs préférences, mais ils essaient de rester le plus objectif possible.

Car oui, le meilleur chocolat du monde, c’est bien celui que l’on préfère.

Chocolat au lait au cannelé par La Fèverie à Bordeaux en France

Chocolat au cannelé de La Fèverie
  • Fèves : hybride de trinitario
  • Producteurs de cacao : Fazenda Camboa
  • Origine : région de Bahia au Brésil
  • Récolte : inconnue
  • Pourcentage : 55%
  • Inclusions : lait demi-écrémé en poudre, cannelé et lécithine de tournesol

Notes de dégustation du chocolat au lait au cannelé par La Fèverie

Entre le caramel et le mordoré, la robe annonce déjà le caractère gourmand. Le nez y ajoute une impression lactée et de gâteau fraîchement sorti du four. La casse est friable et le croquant agréable. En bouche, c’est la texture granuleuse qui indique le caractère atypique de cette tablette. Des notes cacaotées et de caramel très gourmandes se déploient alors que le chocolat fond vite, très vite. Si le cannelé semble poindre au milieu de ces saveurs, c’est en finale qu’il se révèle de façon cristalline, tout en jouant sur la vanille. Finalement, la longueur glisse lentement du cannelé pour revenir vers le cacao de caractère, tout en gardant la trame gourmande de l’ensemble. L’équilibre dynamique de la composition est particulièrement intéressant.

Le petit plus : Restez dans le Bordelais et le gourmand, accordez ce chocolat avec un Sauternes encore jeune.

Chocolat au cannelé de La Fèverie
Le chocolat au lait et au cannelé de La Fèverie. Avouez que ça en jette.

Le cannelé et le lait (rime avec le bon accent)

L’icône sucrée qu’est le cannelé et le chocolat de La Fèverie, une rencontre orchestrée par la chocolatière en cheffe Hasnaâ. Une création qui résume bien les 10 ans de cette adresse parmi les pionniers du bean-to-bar en France. Des premiers chocolats grands crus aux tablettes et ganaches plus gourmandes, la marque reste ancrée dans le terroir.

Ainsi, la chocolaterie se démarque également par des ganaches aux vins de la région. Un exercice créatif difficile, tant les caractères du chocolat et du vin peuvent s’avérer trop fougueux pour maintenir l’équilibre du mariage. Mais maîtrisée, cette approche au plus près des produits permet de se démarquer. Et tant mieux. Dans le cas du cannelé, le chocolat garde son identité en y liant la gourmandise du gâteau bordelais.

Si le choix d’un chocolat au lait apporte le bon équilibre, il est intéressant de noter que la Brigaderie de Paris transforme les mêmes fèves de cacao pour réinterpréter un plat brésilien, mais en les déclinant en chocolat noir.

La note du sommelier
Incorporer une "recette" complète dans un chocolat est toujours un défi. Car si les goûts peuvent à priori se marier, le fait de déconstruire la pâtisserie ou le plat revient à transporter le goûteur dans un autre univers, sans repères. Si l'exercice est généralement synonyme de succès commercial, ce n'est pas toujours le cas en termes gustatif. Pourtant, dans ce cas, je n'ai pas boudé mon plaisir. La gourmandise du cannelé est bien présente, avec ses accents caramélisés, tout en étant renforcée par celle du chocolat. Joli.

Jus de mucilage, qu’est-ce que c’est ?

Jus de mucilage de cacao.

Du cacaoyer, on connaît surtout le chocolat et par extension les fèves de cacao utilisées pour le fabriquer. Le mucilage est le nom de la chair fruitée qui entoure les fèves de cacao contenues dans la cabosse. Ainsi, le jus de mucilage est simplement le jus du fruit du cacaoyer. On l’appelle aussi parfois jus de cacao. Fin de l’histoire ? Pas vraiment, car si une écrasante majorité des consommateurs occidentaux connaît le chocolat, ces mêmes personnes n’ont pour la plupart jamais goûté le jus de fruit du cacaoyer.

Jus de fruit frais

Paradoxalement, de nombreux cultivateurs de cacao connaissent les saveurs de la pulpe de cacao, mais n’ont pas goûté de chocolat. S’il est difficile d’acheminer du chocolat dans une plantation tropicale sans le faire fondre, l’inverse est aussi vrai. En effet, dans ces conditions, les cabosses fermentent rapidement après leur récolte. C’est pourquoi, le jus extrait du mucilage se boit peu après avoir été pressé.

De même, du fait qu’il fermente rapidement, le jus de mucilage est à la base de plusieurs alcools de cacao. Attention, ces alcools sont à distinguer des liqueurs aromatisées au chocolat que nous connaissons dans les pays plus nordiques. Des variations gustatives à découvrir dans cet article sur les autres usages du cacao.

Cabosse ouverte avec ses fèves de cacao encore dans le mucilage.
Cabosse ouverte avec ses fèves de cacao encore dans le mucilage. Crédit : Keith Weller, USDA ARS via Wikipedia.

Où trouver du jus de mucilage pasteurisé ?

Étonnement, si une partie du mucilage est conservée durant la fermentation des fèves, une bonne partie de la pulpe devient un déchet. C’est ce constat qui a motivé l’entreprise Koa a valoriser cette matière. Comment ? En pressant le cacao frais sur le lieu de la récolte. Grâce à des panneaux solaires rendant l’installation autonome en énergie, le jus de fruit frais récolté peut être directement pasteurisé sur place. De plus, le procédé préserve les fèves qui peuvent toujours servir à produire du chocolat. Cerise sur le gâteau, les paysans gagnent le prix de leur récolte de fèves, ainsi que du jus. Ainsi, leurs revenus augmentent.

D’autres entreprises commercialisent du jus de cacao pasteurisé de façon plus classique via des usines dédiées. En outre, localement, il est parfois possible de trouver du jus de cacao réfrigéré, mais c’est surtout fraîchement pressé qu’il est proposé lorsque non pasteurisé.

Quel est le goût du jus de mucilage de cacao ?

Fruit tropical, le cacao est riche en goût et en sucre. De nombreuses personnes le comparent au litchi, probablement du fait qu’elles connaissent de cette référence. Toutefois, la saveur est généralement plus complexe, allant de touches de fruits exotiques à quelque chose de floral et sucré rappelant effectivement le litchi. S’il était possible de comparer les jus de différentes variétés de cabosses, la palette gustative serait probablement bien plus grande.

Sous nos latitudes, ce qui surprend, c’est l’absence d’acidité ; un goût souvent associé à de nombreux fruits tropicaux. De même, la texture du jus est plus épaisse que celle d’un jus de pomme tout en restant fluide. Décidément, le cacao n’a pas finit de nous surprendre !

Et vous, avez-vous déjà bu du jus de mucilage de cacao ? Qu’en avez-vous pensé ?

Crédit image principale : Felchlin. Droits réservés.

Feijoada par La Brigaderie de Paris en France

Chocolat Feijoada par la Brigaderie de Paris
  • Fèves : hybrides de Trinitario
  • Producteurs de cacao : Fazenda Camboa
  • Origine : Etat de Bahia au Brésil
  • Récolte : 2020
  • Pourcentage : 70%
  • Torréfaction : courte
  • Inclusions : haricots noirs, riz soufflé, noix de coco fumée, oranges confites

Notes de dégustation du chocolat Feijoada de la Brigaderie de Paris

La robe brune présente des accents acajou. Le nez est désorienté par la richesse des sensations des inclusions serties dans cette tablette. La casse est sonore, le croquant incertain avec la présence des inclusions. En bouche, l’explosion de saveurs ne se fait pas attendre et les multiples textures ajoutent à la découverte. A la richesse gustative des ingrédients, le cacao du chocolat apporte une trame faite de notes de réglisse et d’épices. Un délice qui faute de repères évoque un sentiment de biscuits de Noël. Finalement, la longueur laisse une impression égale à celle de la dégustation, d’une grande richesse.

Le petit plus : Mâchonnez ce chocolat, jouez avec en bouche et oubliez qu’il s’agît de chocolat. Si vraiment, accompagnez le d’un verre de rouge, de ceux qu’on ouvre pour les fêtes.

Chocolat Feijoada par la Brigaderie de Paris
Chocolat Feijoada par la Brigaderie de Paris, des ingrédients symboles de la gastronomie brésilienne sertis dans une tablette.

Le chocolat, ce représentant de la tradition gastronomique

Les créations de La Brigaderie de Paris vont des chocolats noirs aux notes ciselées aux créations originales comme le chocolat blond aux épices d’Amazonie. Le point commun de ces explorations gustatives est sans l’ombre d’un doute le terroir brésilien. Que ce soit pour exprimer les arômes des fèves de chaque région ou pour incorporer la tradition gastronomique du pays. Ce Feijoada de la Brigaderie de Paris ne fait pas exception.

Mais au fait, qu’est-ce que la feijoada ? C’est un repas populaire à base de… haricots ! Certes, sa variante brésilienne est souvent aigre-douce, car accompagnée d’oranges, mais le fait de décliner ce plat en chocolat peut surprendre. D’autant que tout y est ou presque : haricots, riz – soufflé pour l’occasion –, oranges confites, noix de coco fumée. Ne manque que la viande. Le tour de force est d’utiliser cette base pour la sublimer en une création nouvelle, inattendue.

L’audace paie, car cette tablette a reçu une médaille d’argent européenne lors des International Chocolate Awards de 2021. Une belle performance pour un chocolat inspiré d’un plat carné !

La note du sommelier
Ayant déjà goûté du chocolat à la viande, je m'attendais à tout. Pourtant, cette interprétation m'a surpris. L'idée de "remplacer" la viande et son côté umami par la coco fumée et le chocolat, qui apportent leur propre caractère et substance, tout en jouant sur la dimension sucrée-salée, est aussi audacieux que réussi. Cet exercice illustre, une fois encore, à quel point le fait de puiser dans ses racines, quitte à s'éloigner des tendances, permet de réaliser des accords aussi innovants que réussis.

Comment sourcer le cacao ?

Sourcer le cacao sur la place de Chuao au Venezuela.

Sourcer son cacao, une tâche dont on parle peu lorsqu’il est question de chocolat bean-to-bar. Pourtant, fabriquer de la fève à la tablette implique de se procurer du cacao. Si certains artisans, surtout dans les pays producteurs de cacao, disposent de leur propre plantation de cacaoyer, la majorité doit l’acheter aux planteurs. Dès lors, plusieurs options se présentent. Rencontrer et acheter directement aux paysans, passer par une coopérative ou se fier à un intermédiaire, aussi appelé sourceur. Quel est le meilleur choix ?

Sourcer du cacao directement

Dans un esprit d’authenticité, la tentation de se fournir directement auprès des planteurs est grande. Toutefois, obtenir du cacao à la source présente de nombreux défis. Premièrement, d’un point de vue logistique, les petits producteurs ne disposent que rarement des ressources pour envoyer les fèves. Deuxièmement, la plupart d’entre eux ne fait pas fermenter et sécher son propre cacao. Ils confient souvent ces tâches aux coopératives. Finalement, les petites plantations n’arrivent pas à fournir une quantité et une qualité de cacao suffisante pour un chocolatier. Sans compter l’épineuse question de savoir pourquoi privilégier telle petite exploitation à telle autre…

Pour indiquer la provenance du cacao à l’échelle de la plantation, les artisans obtiennent leur fèves soit d’une coopérative, soit d’un grand propriétaire. Ce dernier cas ne représente pas l’écrasante majorité des planteurs de cacao. C’est pourquoi, la traçabilité fréquemment prônée se heurte aux limites de la précarité du terrain. De même, l’artisan qui se rend sur le terrain va souvent rencontrer des cacaoculteurs individuels plus aisés ou ayant d’ores et déjà des meilleurs contacts avec l’extérieur.

Sourcer son cacao soi-même ne met donc pas à l’abri de perpétuer les inégalités présentes dans la filière. De plus, les artisans chocolatiers ne disposent que rarement de l’expérience de terrain et du temps pour comparer différentes sources de cacao. Il leur est difficile de s’assurer de la légitimité du discours de leurs interlocuteurs en termes de durabilité et de conditions d’exploitation. Toutefois, en y consacrant du temps et souvent en se spécialisant dans un région, comme Qantu avec le Pérou, l’expérience peut être concluante.

Alain et Emile, les deux cofondateurs de Carrack Chocolat.
Alain et Emile, les deux cofondateurs de Carrack Chocolat, avec leur précieux cacao.

Passer par un ou plusieurs intermédiaires

Les coopératives constituent souvent un bon compromis. En effet, ces structurent regroupent plusieurs producteurs qui sont souvent à l’origine du groupement. Cette méthode permet souvent de répartir les bénéfices de façon plus équitable au sein de la communauté. De plus, les récoltes groupées permettent de trier les fèves par niveaux de qualité pour garantir un approvisionnement plus régulier. Dépendamment de la taille de la coopérative, la notion de terroir reste parfaitement pertinente. De même, les conditions de récolte restent très similaires, notamment en termes de calendrier. Parler de millésime ou de même récolte est tout à fait légitime.

Toutefois, les producteurs bean-to-bar curieux de travailler des origines et des profils aromatiques très différents se tournent souvent vers des sourceurs. Certains de ces intermédiaires se spécialisent dans le fait de parcourir les régions productrices de cacao à la recherche de cacao. D’autres se spécialisent dans une région ou un pays, souvent dont ils sont originaires. Les intermédiaires se fournissent aussi auprès de coopératives et de grands propriétaires. Dans les deux cas, ces intermédiaires recherchent et s’assurent de la constance de la qualité du cacao. Un travail précieux qui peut éviter des déconvenues et des pertes financières non négligeables.

Trouver un sourceur demande également un investissement en termes de temps. En effet, il s’agît de trouver un intermédiaire de confiance pour s’assurer que les engagements sont tenus. Mieux, une relation privilégiée permet aussi d’obtenir des lots de fèves rares ou d’une origine très demandée. Un bon sourceur sera aussi transparent. Il expliquera lorsqu’il fait lui-même appel à un intermédiaire local ou pourquoi il vaut mieux éviter certains cacaos.

Cacao de la coopérative UTKKU proposé par Silva Cacao
Sourcer le cacao de la coopérative UTKKU au Pérou ? Rien de plus facile avec le sourceur Silva Cacao. DR.

Quelle est la meilleure méthode ?

Lorsqu’un producteur de chocolat débute, il a tout intérêt à commencer par du cacao très commun. En plus de faciliter l’approvisionnement, ce choix permet d’apprendre à faire le chocolat plus facilement. En effet, cette méthode permet de comparer son travail à celui des autres. Un excellent moyen pour évaluer sa production et créer son propre style, tout en comprenant le potentiel aromatique d’un cacao. De même en s’approvisionnant directement auprès de planteurs connus ou de sourceurs reconnus, il est aussi plus facile de comprendre ce qui nous convient en termes de logistique et de relations humaines.

Plus tard, lorsqu’il souhaite se procurer du cacao moins connu ou plus rare, l’artisan a intérêt à procéder au coup par coup. En effet, une récolte peut s’avérer exceptionnelle, une livraison facile, un contact aisé, mais c’est dans la durée que la fiabilité se révèle. En outre, il s’agît aussi d’apprivoiser un nouveau cacao. Il arrive fréquemment que les artisans qui proposent trop d’origines différentes dans leur assortiment de chocolats, trop rapidement, n’en maîtrisent pas complètement les subtilités. Une erreur souvent observée chez les chocolatiers « classiques » qui se mettent au bean-to-bar ou chez ceux disposant de beaucoup de moyens.

Finalement, sourcer le cacao est un apprentissage, tout comme le torréfier ou peaufiner sa recette. Alors, n’hésitez pas à mettre en avant ce savoir-faire et jouez la carte de la transparence auprès de la clientèle.

La note du sommelier
Saviez-vous qu'en plus d'être un défi, le fait de se procurer son propre cacao est aussi un dédale administratif ? En effet, pour l'importer, il est nécessaire de s'assurer qu'il répond aux normes sanitaires et douanières. Ces exigences signifient qu'il est souvent nécessaire de le faire analyser par un laboratoire agréé, de trouver les bons interlocuteurs dans l'administration et obtenir les bons papiers. Sinon, le risque est de voir la marchandise bloquée, voire détruite par les douanes... Le sourceur se chargeant de ces démarches, l'achat du cacao est d'autant plus simple.

Image principale : Place de l’église de Chuao au Venezuela, particulièrement réputé pour son cacao, crédit Wikipedia

El Limón par Solstice à Salt Lake City aux USA

El Limón Solstice chocolat
  • Fèves : nacional arriba
  • Producteurs de cacao : Hacienda Limon
  • Origine : province de Cotopaxi en Equateur
  • Récolte : inconnue
  • Pourcentage : 70%

Notes de dégustation du chocolat El Limón par Solstice

Profonde, la robe brune tire vers le bistre. Le nez est fin, distillant des notes chocolatées et d’épices. La casse est puissante et le croquant net. En bouche, les notes chocolatées donnent le ton. Le côté gâteau procure une grande gourmandise, qui est soulignée par quelques notes de cédrat confit et de cerise. Le tout sans aucune amertume ou astringence, dans un bel équilibre. Finalement, la belle longueur dévoile des notes de miel et de fleurs sucrées. Une édition limitée que l’on regrette de voir disparaître avant même d’avoir terminé la tablette.

Le petit plus : Faites une autre folie, associez ce chocolat un verre de Point final I, un vin rouge tout en finesse créé par Novel à Genève.

Chocolat El Limón Solstice
La robe très sobre du chocolat El Limón de Solstice cache bien son caractère particulièrement gourmand.

Un Solstice au goût de crépuscule

Les créations de Solstice m’ont toujours intéressé. Malheureusement, ce producteur américain de Salt Lake City dans l’Utah ferme ses portes après de belles années. Est-ce la conjoncture économique ou la difficulté de dégager des marges suffisantes dans un domaine difficile ? Les facteurs et les périls sont nombreux. Reste qu’ils ne sont ni les premiers, ni les derniers. Une tendance qui, si elle est difficile à évaluer, interroge quant à la viabilité du mouvement bean-to-bar.

A noter que leur approche en termes de communication ne mettant pas l’accent sur l’origine des fèves et de leur torréfaction du cacao n’a probablement pas aidé les consommateur à percevoir la valeur ajoutée de leur travail. Ce qui est dommage, car ce El Limón de Solstice a du potentiel tant gustativement qu’en terme d’histoire. Par exemple, La Flor, qui travaille le même cacao, le met bien plus en avant.

La note du sommelier
Personnellement, la fermeture de Solstice m’attriste. D'autant que c'est avec un de leurs tablettes que je m'étais amusé à expérimenter l'influence de la musique sur la perception sensorielle du chocolat. Un excellent souvenir, qu'il me faudra désormais recréer avec un autre chocolat. Rien de rédhibitoire pour le gourmand, mais malgré tout une pointe de nostalgie.

Pourquoi le prix du cacao a-t-il tant augmenté ?

Le négoce du prix du cacao.

La nouvelle a défrayé l’actualité du printemps 2024 : le prix du cacao a explosé. Stagnant durant des années à un peu plus de 2’000 dollars américains la tonne sur les marchés internationaux, le cours a commencé à augmenter en 2023. Fin avril 2024, il culminait à plus de 12’000 dollars. Une envolée spectaculaire, sans précédents. Aujourd’hui redescendu, le cours reste à près de 7’500 dollars, mais ne semble pas s’effondrer pour autant.

évolution du prix du cacao ces 10 dernières années
Évolution du prix du cacao ces 10 dernières années. L’envolée du printemps 2024 est impressionnante

La frénésie de l’actualité étant passée, je vous propose une analyse a posteriori. De quoi comprendre les enjeux en présence et de se faire une idée quant à l’évolution future possible. De quoi mieux comprendre nos choix en tant que consommateurs, mais aussi des pistes pour les producteurs qui souhaitent mieux communiquer leurs choix de production.

Plusieurs facteurs

Le prix du cacao dépend de plusieurs facteurs. La récolte et la demande sont les éléments de base qui fixent le prix sur les marchés internationaux. La consommation de chocolat globale est difficile à estimer de façon fiable. Toutefois, les importations de cacao par les pays producteurs de chocolat ne diminuent pas, au contraire. A l’inverse, la production mondiale de cacao reste relativement stable. A elle seule, cette situation explique une tendance à la hausse du prix du cacao.

récolte mondiale de cacao ces dernières années
Récolte mondiale de cacao de ces dernières années présentée par Chocosuisse.

Malgré tout, l’envolée ne s’explique pas par cette hausse régulière et mesurée. En effet, le prix du cacao est influencé par plusieurs autres paramètres tels que les conditions climatiques, le coûts des matières premières (transport, intrants pour la culture), la concurrence entre les principales entreprises de commerce de cacao, ou encore les prix fixés par les acteurs étatiques, notamment en Afrique de l’Ouest. Démêler ces facteurs demande une analyse plus poussée.

A qui profite l’augmentation du prix du cacao ?

Comme souvent, pour comprendre une situation, il est intéressant de voir à qui celle-ci profite. Dans le cas du cacao, les producteurs produisant la majorité du cacao mondial se situent au Ghana et en Côte d’Ivoire. Dans ces deux pays, les paysans vivent pour la majorité dans une pauvreté extrême. Pire, ils tendent plutôt à gagner moins avec l’augmentation du coût de la vie et en particulier du prix des intrants – engrais, pesticides – qu’ils utilisent.

Pourtant, les multinationales de la chimie ne sont pas à blâmer pour l’augmentation du prix du cacao. D’ailleurs, leur valeur boursière n’a pas suivi l’augmentation de celle du cacao. En effet, des organismes liés à l’État fixent, le cours du cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ainsi, le prix du sac de cacao en bord de champ n’a quasiment pas changé pour le producteur. Ce n’est donc pas lui qui voit la couleur de la pluie de billets verts échangés sur les marchés internationaux. En revanche, les instances étatiques qui transfèrent le cacao aux acheteurs internationaux, elles, empochent une marge confortable. Ont-elles pour autant créé cette situation ? Probablement pas outre mesure. La production mondiale de cacao dans son ensemble tend à se consolider et des acteurs comme l’Équateur jouent un rôle de plus en plus important.

De même, paradoxalement, les multinationales du cacao ne profitent pas particulièrement de ces augmentations. Au contraire, dans un premier temps, elles tentent de retarder la répercussion du prix de leur matière première pour conserver un avantage concurrentiel. Une stratégie temporaire, qui ne sera pas tenable à terme si les prix se maintiennent plus haut qu’auparavant.

Un coupable bien connu

Finalement, l’augmentation du prix du cacao vient surtout de la crainte d’une diminution significative de la production en Afrique de l’Ouest. Donc d’une diminution de l’abondance de cacao pas cher. Ce manque de productivité est grande partie provoqué par le climat. En effet, le phénomène cyclique de La Niña apporte plus d’humidité en Afrique de l’Ouest. Trop d’humidité et le cacaoyer produit moins. Mais, avec le réchauffement climatique, ce phénomène s’amplifie, car l’air emmagasine plus d’humidité, et influence d’autant plus les rendements.

Influence de la Nina sur le prix du cacao
Les phases d’El Niño en rouge et de La Niña en bleu. Données : National Oceanic & Atmospheric Administration NOAA. Graphique : MétéoSuisse.

Quel impact sur le consommateur du prix du cacao ?

En termes de conséquences, l’augmentation du prix du cacao se répercute de différentes façons. Si l’impact exact sur le consommateur est encore peu clair, il semble difficile d’imaginer que les augmentations ne soient pas au moins en partie répercutées.

L’augmentation du prix du chocolat industriel serait en partie une bonne nouvelle pour les artisans. En diminuant en partie l’écart de prix avec leurs produits, les consommateurs seraient plus incités à comparer les rapports qualité-prix relatifs. Toutefois, attention aux effets indésirables. D’une part, les prix des artisans peuvent aussi augmenter. D’autre part, en prenant le parti d’afficher le prix payé au producteur de cacao, donc plus bas que celui du marché international, le risque est de laisser croire aux clients que la marge revient à l’artisan, ce qui n’est pas le cas. Il est donc indispensable de communiquer clairement en comparant avec le prix reversé au producteur habituellement.

Et les producteurs de cacao ?

Inversement, les producteurs de cacao ressentent déjà les conséquences de ces augmentations, mais de façon inattendue. Ainsi, avec un prix contrôlé par l’État, la tentation de passer par le marché noir est grande. Un choix qui réduit à néant les programmes de lutte contre le travail des enfants dans les plantations et la revalorisation du travail des femmes, basés sur les contrôles de l’ensemble de la filière. Similairement, de nombreuses coopératives paysannes à travers le monde peinent à garder leurs paysans sociétaires qui préfèrent vendre au prix du marché libre, plus attractif, mettant en péril les schémas de mutualisation qui permettent de construire des écoles et des puits collectifs.

En plus d’être la manifestation des changements climatiques, la volatilité des marchés internationaux du cacao est surtout un élément d’incertitude majeur pour une population de producteurs déjà souvent touchée par l’extrême pauvreté. En tant que consommateurs et artisans, demander du cacao et du chocolat équitables est donc plus important que jamais.

Crédit photo principale : The Barry Callebaut Group.

Chocolat noir ou au lait ?

Chocolat noir ou au lait: exemple avec le Sierra Leone de Notes de fève

Lequel est meilleur ? Le chocolat noir ou au lait ? Outre le fait qu’il s’agisse surtout de préférences gustatives personnelles, la question est souvent un non-sens. En effet, les tablettes invoquées pour la comparaison sont souvent de producteurs différents, avec des cacaos différents, etc. Pas de quoi alimenter la réflexion de façon très productive. Pourtant, grâce aux producteurs bean-to-bar, il est possible de faire avancer le débat… tout en mangeant du bon chocolat. Alors sans plus attendre faisons avancer la science !

Sierre Leone Kailahun de Notes de fève à Matran en Suisse

La maison Notes de fève propose deux chocolats parfaits pour cet exercice. Les deux tablettes sont réalisées non seulement par le même chocolatier, mais en plus avec du cacao de la même origine et du même millésime. Cerise sur la gâteau, le chocolat au lait est un dark milk, aussi appelé ultra-cacaoté. De quoi s’assurer que le sucre ne prenne pas le dessus et que l’ajout de lait soit uniquement là pour transformer le profil gustatif du cacao. Des conditions idéales pour réaliser un comparatif.

  • Fèves : trinitario et forastero
  • Producteurs de cacao : Village Hope
  • Origine : région de Kailahun en Sierra Leone
  • Récolte : 2022
  • Pourcentage : 80% (noir) et 67% (lait)
  • Inclusion : lait en poudre (pour la tablette au lait uniquement)

Notes de dégustation du chocolat noir

La robe noir ébène joue avec la lumière pour le plus grand plaisir des yeux. Le nez est particulièrement chocolaté avec quelques traces de cacao. La casse est relativement discrète et le croquant plutôt friable. En bouche, le cacao ouvre le bal et déroule des notes automnales boisées, de noix ou encore d’écorce de pomme. La texture étonne, oscillant entre fondant et friable, ajoutant au caractère atypique du chocolat. Enfin, la longueur est belle et révèle des tannins souples et agréables, tout en rappelant les notes de noix. Un chocolat complexe qui redemande à être goûté plusieurs fois. Parfait pour le brunch d’un dimanche d’automne.

Le petit plus : Pour rester proche de l’esprit fribourgeois de la chocolaterie, associez un morceau à un peu de cuchaule.

Chocolat noir ou au lait: exemple avec le Sierra Leone de Notes de fève
Chocolat noir ou au lait, l’exemple avec le Sierra Leone de Notes de fève. Avouez que la nuance de couleur est subtile !

Notes de dégustation de la tablette au lait

D’un ton plus clair à peine décelable, la robe ébène ne laisse pas filtrer au premier abord la nature lactée du chocolat. Au nez, le goûteur distrait pourrait ne pas remarquer la pointe lactée qui souligne discrètement le côté très chocolaté. Un peu plus molle, la casse donne déjà plus d’indices, tout comme le croquant. En bouche, le doute est dissipé, c’est bien un chocolat différent du premier. La texture grasse et prenante rappelle celle d’un Bourgogne. Les notes cacaotées sont accompagnées de celles de noisettes grillées et toujours ce je ne sais quoi de lacté. Le tout laisse poindre quelques accents inattendus qui font penser à de la réglisse et peut-être à nouveau ce je ne sais quoi d’écorce de pomme. De même, la longueur fait ressortir les tannins et confère du racé au tout. A nouveau, il faut goûter encore et encore.

Le petit plus : Prenez un tout petit morceau de datte séchée et accompagnez-le d’un morceau de chocolat qui se transforme alors en pâte à tartiner régressive à souhait en faisant ressortir d’autant plus le côté noisette grillée, voire de massepain ! D’ailleurs, le même exercice avec le chocolat noir renforcera ce côté massepain.

Alors… chocolat noir ou au lait ???

Grâce à cette comparaison, il est intéressant de noter que le lait peut réellement devenir un révélateur du cacao. En faisant ressortir certains traits, il transforme l’expérience sans rien ôter à la richesse gustative du cacao. Au contraire, il peut même apporter de nouvelles notes. Est-ce que cela signifie que le chocolat au lait prévaut sur le chocolat noir ? Définitivement, non. Les deux se valent en terme de qualité sensorielle.

Ainsi, il ressort clairement de l’exercice que l’ajout ou non de lait dépend fortement du cacao utilisé, de la façon de le travailler et du résultat recherché. Si le but est simplement de travailler l’aspect gourmand, la comparaison n’a même pas lieu d’être. En revanche, si le lait est vu comme un ajout pouvant transformer le cacao, alors la question est parfaitement pertinente et avoir une préférence est tout à fait défendable par des arguments en lien avec la qualité du cacao et son potentiel gustatif.

La note du sommelier
Les producteurs qui fabriquent du chocolat au lait font souvent cet exercice de comparaison avec le pendant non-lacté de leur création. Ainsi, ils se retrouvent souvent face aux mêmes dilemmes. Ce qui est dommage, c'est que ce travail, en plus d'être invisible, n'est pas valorisé. Les deux tablettes présentées ici illustrent bien l'intérêt gustatif aussi pour les consommateurs. Une façon d'éduquer le client tout en s'amusant. Que demander de plus ?

Mousse sur le chocolat chaud, est-il meilleur ainsi ?

Mousse sur le chocolat chaud.

Avec la baisse des températures, il est d’usage de s’imaginer blotti à l’intérieur en humant l’odeur de la mousse sur d’un chocolat chaud. Le réconfort par excellence. Mais pourquoi s’imagine-t-on si facilement une mousse à la surface du chocolat chaud ? Le rend-elle meilleur ou est-ce simplement un effet secondaire de la bonne façon de le préparer ? Plongez dans les secrets de la mousse sur le chocolat.

Une question de chimie

Nos sens du goût et de l’odorat doivent pouvoir détecter les molécules associées aux différents arômes. Par définition, les arômes sont des molécules volatiles. Cela signifie que la substance s’évapore pour libérer ces molécules. Toutefois, pour que ces molécules puissent atteindre nos récepteurs sensoriels, elles doivent « sortir » de la substance. En augmentant considérablement la surface entre le chocolat chaud et l’air, la mousse permet à ces arômes de s’échapper.

Les arômes du chocolat chaud sont mieux diffusés grâce à la mousse.
Les arômes du chocolat chaud se diffusent mieux grâce à la mousse. Crédit image : Nature Zen et Les chocolats de Nicolas.

Ainsi, faire mousser le chocolat chaud juste avant de le boire permet de mieux révéler ses arômes. Mais, attention, si la mousse sur le chocolat chaud repose trop longtemps, les arômes disparaîtront, littéralement volatilisés. C’est pourquoi, il faut déguster le chocolat chaud lorsqu’il vient d’être préparé.

La mousse du chocolat, une longue tradition

Les propriétés de la mousse pour exalter les arômes semblent faire partie intégrante de l’histoire du cacao. D’une part, Bernardino de Sahagún, qui accompagnait Hernan Cortès au Mexique, relate dans son codex que les Aztèques qui consommaient du cacao sous forme de boisson le faisait dans des récipient accompagnés d’un ustensile pour le brasser. D’autre part, les artefacts précolombiens suggèrent que la préparation du cacao impliquait de le transvaser pour l’aérer. En plus de ses vertus divines, le cacao semble associé à différentes pratiques rituelles. Aujourd’hui encore, le cacao cérémoniel se veut l’héritier de ces traditions.

Moulinet à chocolat contemporain du musée de l'Alimentarium à Vevey.
Moulinet à chocolat contemporain du musée de l’Alimentarium à Vevey. Crédit : Alimentarium.

Avec le passage du cacao aztèque au chocolat européen, sucré et aromatisé avec d’autres épices, apparaissent les premières galettes de cacao compressé pour faciliter son transport et la préparation de la boisson. C’est aussi à cette poque que les Espagnols introduisent la tradition de battre le chocolat chaud à l’aide d’un moulinet. Dès le 18e siècle, cet accessoire se retrouvera intégré à la plupart des chocolatières. Servant autant à préparer qu’à servir le chocolat chaud, ces ustensiles ont un couvercle troué pour laisser passer le moussoir et le remuer sans rien renverser.

Luis Egidio Meléndez (1716-1780), Nature morte au service à chocolat et brioches.
Huile sur toile, 50 x 37 cm. Madrid, Musée du Prado
©Museo Nacional del Prado
Luis Egidio Meléndez (1716-1780), Nature morte au service à chocolat et brioches. Crédit : Museo Nacional del Prado.

Comment faire mousser son chocolat chaud ?

Si les baristas disposent de mousseur injectant de l’air dans n’importe quelle boisson, il est possible de faire plus simple en renouant avec la tradition. Outre l’option simple qui consiste à utiliser un fouet, il existe aussi des moulinets contemporains. Si les fabricants privilégient souvent le bois, tout est possible : de la porcelaine au métal. Préférez l’inox pour faciliter le nettoyage et éviter une réaction entre le métal et le chocolat, qui pourrait altérer le goût de ce dernier.

Le défi principal consiste à trouver un récipient adapté. En effet, si le bas des chocolatière est plus large que le haut, c’est pour permettre à la mousse de se former, sans déborder. Malgré cela, le couvercle se révèle souvent indispensable. Ainsi, la marque Bodum a créé une chocolatière moderne, en verre, ainsi qu’avec un moulinet incorporé et surtout un couvercle étanche.

Et vous, quel est votre chocolat chaud préféré : avec ou sans mousse ?

Crédit image principale : Nica Cn