Les polyphénols du chocolat, miracle ou argument de vente ?

Polyphénols du chocolat

Les « supers aliments » nous intriguent tous. Potentiellement capables de prévenir les effets du vieillissement ou de soigner des maladie, ces aliments agiraient de façon naturelle. Le chocolat est souvent cité dans cette catégorie vendeuse. Pour justifier les vertus extraordinaires du chocolat, un mot revient souvent : polyphénol. Mais les polyphénols du chocolat ont-il réellement un impact sur notre santé ? Pour sortir des discours commerciaux, je vous propose un tour d’horizon des connaissances actuelles dans le domaine.

Polyphénols, qu’est-ce que c’est, pourquoi le chocolat en contient-il ?

Autrefois simplement appelés tanins végétaux, les polyphénols sont des composants organiques produits naturellement par les plantes. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agît d’un terme générique, qui regroupe une large famille de molécules aux propriétés variées. L’intérêt principal des polyphénols viendrait de leurs bénéfices supposés pour la santé.

Molécule de proanthocyanidine
La proanthocyanidine est une molécule naturellement présente dans le chocolat. Elle fait partie de la famille des polyphénols. Crédit : Edgar181 via Wikipedia.

Issu du fruit d’un arbre, le cacao contient aussi des polyphénols. Ces derniers ont la particularité d’être similaires à ceux du vin rouge. Ce sont des proanthocyanidines, aussi appelés tanins condensés. Cette similitude est à l’origine de l’intérêt au sujet des effets sur la santé du chocolat. Le raisonnement avancé est le suivant : les polyphénols sont bénéfiques pour la santé. Si le cacao en contient, alors le chocolat a aussi des polyphénols. Le chocolat est donc bon pour la santé. Facile, non ? Pas si vite…

Quels sont les effets des polyphénols sur la santé ?

La première question à se poser est celle de savoir si les polyphénols sont réellement bénéfiques pour la santé. Une source revient fréquemment : une étude regroupant les résultats de plusieurs autres recherches pour en dégager une tendance. C’est ce qu’on appelle une méta-analyse. L’idée est plutôt intéressante, car elle permet en général d’éviter les biais contenus dans un seul travail.

Les conclusions de l’étude semblent prometteuses. Les auteurs y indiquent que les polyphénols du chocolat et du vin « […] ont des effets prononcés sur le système vasculaire, y compris, mais pas que, sur l’activité antioxydante du plasma [sanguin]. » 1 Un autre mot à la mode — antioxydant — est lâché. Ainsi, vin et chocolat auraient des propriétés bénéfiques pour notre santé.

Cerise sur le gâteau, les études passées en revue s’intéressent à l’action de ces polyphénols directement dans le corps humain et non sur des cellules en laboratoire. Sauf que c’est aussi le talon d’Achille de cette approche. Les facteurs pouvant interférer sont tellement nombreux qu’il est difficile de s’assurer d’un effet de causalité directe. Les auteurs l’admettent eux-mêmes, en toute fin, en avertissant : « [f]inalement, le métabolisme par la microflore gagne à être compris, car la flore intestinale joue probablement un rôle majeur dans l’activité biologique de nombreux polyphénols. » 2

Pire, dans leur article scientifique, les auteurs ne semblent pas avoir pris le soin de distinguer les études compilées en fonction de leur qualité. Pourtant des procédures standardisées existent pour le faire. Outre le fait que l’article date de 2005, il faut aussi noter que son auteur principal est chercheur chez… Nestlé. Une pratique courante pour de nombreuses études dans l’agroalimentaire, mais qui questionne à nouveau l’éthique et la méthodologie. Un biais qui se retrouve dans plusieurs études sur les vertus du vin rouge financées par des faîtières viticoles.

Les polyphénols du chocolat

Un autre point à considérer vient de la supposition que les polyphénols du cacao se retrouvent dans le chocolat. Ces molécules étant sensibles à la chaleur, une partie est perdue lors de la production du chocolat, notamment lors de la torréfaction. De même l’ajout d’autres ingrédients dilue ces composés. A ce titre, le chocolat « cru » ou avec un plus haut pourcentage de cacao est donc plus riche en polyphénols.

Fruits et légumes frais : vitamines, antioxydants et polyphénols garantis.
Fruits et légumes frais : vitamines, antioxydants et polyphénols garantis. Photo de Bruna Branco via Unsplash.

Reste le point principal : les bénéfices de ces composés ne sont pas vraiment mesurables et avérés. Dès lors, vaut-il quand même la peine de manger du chocolat ? Tant que ce n’est pas dans l’espoir de soigner une maladie ou à excès, la réponse est oui. Intégré à une alimentation équilibrée, le chocolat apporte sa part de variété à l’organisme. Certains d’entre-nous, selon notre flore intestinale et notre génétique, pourraient même en bénéficier un peu plus que la moyenne, tant qu’ils n’en abusent pas.

Passez donc outre les discours vendeurs sur les vertus quasi magiques du chocolat et profitez plutôt des produits de qualité que vous aimez. Sans remords.

1-2. Référence de l’étude : https://doi.org/10.1093/ajcn/81.1.243S

Chocolat cru, qu’est-ce que c’est ?

Chocolat cru aussi appelé raw

Appelé aussi raw, le chocolat cru est un produit tendance. Cuisiner cru, sans cuire les aliment serait meilleur pour la santé et exacerberait le goût des produits. Le chocolat n’échappe pas à cette mode. Mais d’où vient cette appétence pour le cru ?

La cuisine crue ou brute — le terme anglais de raw a une connotation plus large que juste non-cuit — est une réponse à la cuisine moléculaire, qui a fait florès au tournant du millénaire. Venu de Scandinavie au début des années 2010, l’appel au cru a accompagné celui d’une une nourriture plus responsable et locale.

A l’époque plus développé qu’en Europe, le chocolat bean-to-bar américain n’a alors pas raté le coche. L’archétype de cette approche du chocolat cru est la marque Raaka. Fondée en 2010 à New-York, la manufacture base toute sa production sur ce principe. En Europe, le mouvement sera repris en partie, par exemple à Berlin par Belyzium, mais avec un marché moindre.

Le chocolat cru est-il vraiment cru ?

Au sens strict du terme, non. En effet, une fois récoltées et sorties de la cabosse de cacao, les fèves de cacao sont fermentées durant plusieurs jours. Lors de ce processus, la température monte entre 40 et 50°C. La fermentation donne ses saveurs à la fève. Sans elle, pas de cacao et de chocolat.

Fèves de cacao mises à fermenter dans une caisse en bois.
Fèves de cacao mises à fermenter dans une caisse en bois. Crédit : USAID U.S. Agency for International Development

Dans un deuxième temps, les fèves sèchent au soleil. Le but est de faire évaporer l’humidité contenue dans les fèves pour ne laisser qu’un résidu de 5 à 7%. Cette étape permet d’obtenir un produit moins susceptible à la moisissure et ainsi plus facile à transporter et stocker.

Si on ne peut parler de réelle cuisson, il est difficile de dire que les fèves de cacao n’ont subi aucune altération chimique par la chaleur. De même, le sucre contenu dans nombre de tablettes labellisées crues nécessite une cuisson à ébullition. A ce titre, je trouve donc abusif de parler de chocolat cru ou raw.

Le chocolat non-torréfié

Si le chocolat est souvent qualifié de cru, c’est par abus de langage, pour parler de chocolat non-torréfié. Encore trop souvent, la fabrication du chocolat omet l’importance de la récolte et de la fermentation du cacao. Ainsi, on ne se concentre que sur l’étape de la torréfaction… effectuée dans les pays consommateurs de chocolat. Dommage.

Contrôle des fèves de cacao dans un torréfacteur.
Prélèvement et contrôle d’un échantillon de fèves de cacao en train d’être torréfiées chez Notes de fève.

Si la torréfaction permet d’abaisser encore plus le taux d’humidité du cacao, elle renforce aussi le goût du cacao. Ainsi, fabriqué à partir des mêmes fèves, un chocolat non-torréfié différera sensiblement de son homologue classique d’un point de vue gustatif. Il exprimera plus de saveurs fines et sera généralement moins long en bouche. L’intérêt de cette approche réside surtout au niveau du goût. Sélection des fèves, qualité de celles-ci, équilibre entre cacao et sucre, le travail de fabrication du chocolat demande encore plus de soin lorsque les fèves ne sont pas torréfiées.

Parfois, la frontière entre torréfié et non-torréfié devient floue. En effet, avec l’arrivée sur le marché de fèves de plus en plus subtiles en termes de saveurs, les manufactures travaillent la torréfaction de plus en plus finement. Le but est de faire ressortir tout le bouquet sans que celui-ci ne soit noyé dans l’intensité du cacao. Les torréfactions légères, c’est-à-dire à plus basse température deviennent de plus en plus monnaie courante. Lorsque la torréfaction passe sous la barre des 100°C, les définitions commencent à se brouiller.

Du sucre brut : A Genève, la manufacture Orfève a développé une gamme de chocolat appelés "brut de noir". Ces tablettes contiennent du sucre grossièrement broyé pour en conserver la texture. Une autre approche "brutale" qui réveille les papilles et joue avec les sensations.

Et la pasteurisation ?

Les chocolatiers industriels ne s’embarrassent que rarement de trouver le profil de torréfaction idéal. Le but principal est généralement de supprimer toute trace de germes et de champignons. C’est pourquoi les producteurs pasteurisent les fèves de cacao en les chauffants brièvement à plusieurs centaines de degrés. Cette démarche permet aussi d’uniformiser, pour ne pas dire brûler, les différentes qualités, types et origines de cacao. Le chocolat devient alors un produit standardisé.

Chocolat cru, est-il meilleur pour la santé ?

Au-delà du goût, l’argument de la santé revient souvent à propos des produits crus. Le chocolat cru, ou plutôt non-torréfié, est-il plus sain ? De par sa température, une torréfaction intense pourra dégrader une partie des molécules qui composent les anti-oxydants. Mais une torréfaction classique pourrait même améliorer leurs effets. A ce titre, « cru » ou non, le chocolat conserverait ses vertus.

La véritable question est plutôt de savoir si les chocolats et leurs anti-oxydants ont un réel impact sur notre santé. La plupart des études qui vantent des effets positifs sont discutables : soit anciennes, soit financées par des industries en besoin d’arguments de vente… Une fois encore, il faut plutôt chercher les bienfaits du chocolat dans la consommation de produits de qualité et dans le cadre d’une alimentation équilibrée.

En conclusion, le chocolat cru n’est pas une panacée ! Il faut plutôt y voir une approche gustative et culinaire qui démontre l’incroyable versatilité de ce produit. A titre personnel, j’ai beaucoup apprécié certains chocolats non-torréfiés pour les émotions très brutes qu’ils procurent. Un sentiment de chocolat sauvage.