Irene Chetschik et le chocolat, une histoire fascinante. La chercheuse est responsable du groupe de recherche « Chimie de la nourriture » à l’Université des sciences appliquées de Zurich. L’approche sensorielle de la chimiste est riche d’enseignements. Irene Chetschik a eu la gentillesse de partager sa passion lors d’un entretien. L’occasion d’entrevoir les futurs possibles du chocolat grâce à la perspective de la science des molécules.
Irene Chetschik, comment devient-on une chimiste spécialiste du chocolat ?
Il y a presque vingt ans, j’ai fait un doctorat en chimie des arômes alimentaires à l’Université technique de Munich, en Allemagne. Après, j’ai travaillé durant cinq ans pour différentes entreprises privées en Suisse et en Europe, mais la liberté de la recherche académique me manquait. C’est pourquoi, lorsque l’opportunité de revenir dans ce milieu s’est présentée, je n’ai pas hésité. C’est comme ça que je me suis retrouvée à l’Université des sciences appliquées de Zurich, la ZHAW.
Mon travail scientifique consistait à mettre en place des outils d’analyse pour caractériser les arômes du chocolat au niveau moléculaire. Je réalisais ce travail dans le cadre d’un projet en collaboration avec une entreprise qui fabriquait du chocolat selon un nouveau procédé. Avec mes outils, mon équipe et moi avons pu caractériser de nombreux chocolats fabriqués avec le nouveau procédé ou classiques et à partir de différents cacaos. C’était très intéressant de voir que de nombreux composants actifs en termes d’odeur étaient présents dans tous les chocolats. Seules leurs abondances changeaient, créant ainsi les différents profils aromatiques. D’un point de vue sensoriel, on pouvait les décrire comme fruités, floraux ou intensément cacaotés.
Ça m’a donné l’idée de créer un kit des odeurs clés du cacao. Il contient les vingt-cinq molécules principales responsables des arômes du chocolat. C’est en quelques sorte l’ADN aromatique du cacao et du chocolat. En effet, ces composants sont toujours présents, mais en quantités différentes. C’est la conséquence des différentes variétés et origines de fèves, ainsi que des étapes de transformation le long de la chaîne de valeur du cacao.
Vu la complexité gustative du cacao, 25 composants, cela semble peu. Comment avez-vous fait pour les identifier ?
Effectivement, il s’agît des 25 composés volatils principaux et caractéristiques du chocolat. En réalité, il y a près de 600 molécules volatiles différentes détectées dans les différents produits du cacao et le chocolat. Toutefois, toutes ces molécules ne contribuent pas de façon significative à l’arôme global du cacao et du chocolat. De plus, les récepteurs sensoriels de notre nez ne réagissent qu’à une petite fraction de ces molécules pour produire le goût du cacao et du chocolat. C’est peu pour une saveur aussi délicieuse.
Pour détecter les composants clés, nous utilisons une technique appelée olfactométrie chromatographique gazeuse, abrégée OCG. Avec l’aide de nez humains, cette méthode permet d’identifier les éléments jouant un rôle actif dans la nuée de ceux sans odeur. En effet, notre nez est toujours un des détecteurs les plus puissants. Ainsi, l’humain peut aisément détecter certains composés présents à l’état de traces – de l’ordre de la partie par milliard, voire moins. En comparaison, un instrument de mesure même très sensible n’y parvient que difficilement.
Irene Chetschik, comment les personnes participant aux recherches reconnaissent les bonnes molécules du chocolat ?
En effet, cette approche implique de former des gens à reconnaître les composés odorants. C’est à cela que sert notre kit. Grâce à cet entraînement, l’analyse OCG d’échantillons de chocolats permet d’identifier la présence de composants actifs. Cette étape est indispensable pour décoder le profil aromatique du cacao et du chocolat au niveau moléculaire. Ainsi, nous pouvons comprendre quel est le composé le plus important dans l’impression globale d’un produit.
De même, nous pouvons aussi détecter quel élément odorant est le plus puissant dans les ingrédients bruts. Grâce à cela, puis en quantifiant l’élément, nous pouvons avoir une idée de la façon dont l’ingrédient a été transformé. C’est pourquoi, le kit peut aussi servir à former un panel de testeurs. Ainsi, il est possible de reconnaître les saveurs spécifiques d’échantillons de cacao et de chocolat. A la ZHAW, nous l’utilisons également dans nos cours expliquant la création des arômes tout au long de la chaîne de valeur du cacao.
Les arômes du chocolat semblent bien connus, reste-t-il encore les sujets de recherche à explorer ?
Bien sûr. Par exemple, nous préparons une demande de financement pour un nouveau projet. Nous voulons appliquer nos méthodologies à différentes variétés et origines de cacao. Le but est de comprendre leur influence sur le profil gustatif du cacao et du chocolat.
Par ailleurs, nous avons commencé à étudier les constituants aromatiques des graines de Theobroma grandiflorum, qui pourrait être utilisé comme substitut au cacao. Avec les prix du cacao qui ont explosés cette année, l’industrie est à la recherche d’alternatives capables de produire le même goût savoureux que celui du cacao. De plus, Theobroma grandiflorum est un cousin du cacao supposé mieux résister à la sécheresse.
En outre, nous continuons à travailler sur une méthode appelée incubation du cacao. Le but est de trouver une alternative à la fermentation traditionnelle après la récolte. Le procédé actuel est laborieux et difficile à contrôler. Au contraire, l’incubation du cacao est facile à répliquer et produit des fèves avec peu d’amertume et une forte intensité de notes fruitées et florales. Au-delà du cacao, nous nous intéressons aussi à la vanille et aux composés odorants du chanvre, ainsi qu’aux alternatives à base de plantes pour les œufs. Nos méthodes s’appliquent à toutes sortes d’ingrédients de base.
Finalement, ces recherches ne sont-elles pas trop subjectives lorsqu’il s’agît d’évaluer les propriétés sensorielles d’un produit ? Chacun perçoit les goûts à sa façon…
Je vois notre travail comme un outil pour comprendre les profils aromatiques de différents aliments au niveau moléculaire. Même si le goût est quelque chose de subjectif, il y a des molécules spécifiques responsables de la perception d’une saveur spécifique. Notre tâche consiste à comprendre quel composant joue un rôle dans cette perception. Cette connaissance est utile pour développer et améliorer de nouveaux processus et produits.
De plus, dans plusieurs de nos expériences, par la préparation de modèles gustatifs basés sur nos données, nous avons montré que les profils odorants des ingrédients bruts pouvaient être reproduits avec succès. Grâce à nos recherches, certaines controverses, comme l’influence des composants sans odeur sur la perception humaine, sont résolues, tout du moins en partie.
Le travail d’Irene est inspirant. Sur la base de son kit sensoriel, j’ai créé un poster sur l’origine des arômes du chocolat. Il permet aux amateurs de comprendre l’impact des étapes de la fabrication sur le goût d’une tablette. A retrouver sur la boutique.
La note du sommelier
Irene Chetschik, entre chocolat et sciences. Aussi brillante que passionnée, la chimiste construit un pont entre compréhension du cacao et notre plaisir à le transformer et le manger sous forme de chocolat. La chercheuse m'a impressionné par son engagement. L'analyse des odeurs est devenue une seconde nature. Elle entraîne continuellement son odorat, comme un jeu. Et après toutes ces années, elle trouve toujours le cacao relaxant. De son propre aveu, ce n'est pourtant pas chose facile. Les doctorantes et doctorants qu'elle forme à l'analyse sensorielle butent souvent sur le travail de bénédictin que cela demande. Si les nez des parfumeurs devaient avoir leur équivalent dans le monde du chocolat, Irene Chetschik en serait sans aucun doute l'incarnation.