Notes de fève, le chocolatier bean-to-bar de Matran

Laurent et Bastien Curty, cofondateurs de Notes de fève

C’est non loin de Fribourg, à Matran, que j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Bastien et Laurent Curty, frères et cofondateurs de la chocolaterie bean-to-bar Notes de fève. Leurs locaux regroupent l’atelier de fabrication et un espace de vente/dégustation accessible sur rendez-vous. Se déplacer pour leur rendre visite en vaut largement la peine. Retour sur la rencontre avec deux passionnés de chocolat.

Notes de fève a moins d’un an et pourtant vous proposez déjà une large gamme de chocolats, comment faites-vous ?

Laurent : A la différence de nombreux producteurs bean-to-bar en Suisse qui ont appris le métier par eux-mêmes, nous ne sommes pas partis complètement de zéro. J’ai une longue expérience en tant que chocolatier, notamment dans la recherche et le développement au sein de grands groupes suisses, dont Villars. Mon travail de la fève n’est donc pas nouveau et nous n’avons pas eu à tâtonner pour révéler le potentiel de nos cacaos. Je savais où nous allions. C’est un énorme avantage.

N’est-ce pas un peu paradoxal de passer de l’industrie à l’artisanat pour y appliquer votre expérience ?

Laurent : Non, au contraire. De nombreux chocolatiers qui travaillent dans l’industrie ont des connaissances du cacaos très utiles pour travailler même au niveau artisanal. C’est plutôt le fait que ce savoir ne soit pas utilisé dans la production à plus grande échelle qui est frustrant. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à créer Notes de fève. Ensuite, au-delà des choix commerciaux, le manque de formation est aussi présent dans les grands groupes, pas seulement chez les petits producteurs.

Bastien : Nous avons d’ailleurs des projets pour combler ce vide en terme de formation liée au cacao. Nous travaillons avec des hautes écoles pour prochainement proposer des cours pratiques dans la manufacture. Travailler la fève est indispensable pour passer de la théorie à la pratique, mais les écoles ne peuvent pas forcément investir plusieurs dizaines de milliers de francs en équipements pour un module de formation.

Contrôle de la torréfaction du cacao par Laurent Curty de chez Notes de fève.

Malgré ces investissements importants, est-ce que le fait que Notes de fève soit basé à Matran, hors d’une grande ville, vous permet de rester compétitif ?

Bastien : Nos tablettes de 70g coûtent 8,50 francs. C’est peut-être moins que d’autres bean-to-bar, mais cela reste un produit cher, comme tout chocolat éthique de qualité. Le fait d’avoir des locaux adaptés à un coût plus abordable qu’à Genève ou Zurich n’explique pas tout. En termes de prix, nous nous situons légèrement au-dessus des confiseurs. Nous avons donc fait le choix d’une grande transparence pour que les clients comprennent nos prix. Nous mentionnons par exemple le montant payé au producteur par kilo de cacao. Notre but est que le plus de personnes possible puissent s’offrir des chocolats de qualité, tout en rémunérant correctement les producteurs.

Vos emballages mentionnent aussi le millésime de la récolte, mais il est difficile d’y trouver le pourcentage de cacao. Pourquoi ?

Laurent : C’est un choix volontaire de notre part. Le pourcentage ne veut vraiment pas dire grand chose par rapport au goût du chocolat. Le millésime, le terroir et la façon de travailler les fèves sont les véritables éléments qui influencent le goût d’un chocolat. C’est pour cette raison que nous avons mis en avant le profil aromatique de chaque création. D’où aussi le nom de notre entreprise : Notes de fève.

Bastien : Cet accent sur le goût est vraiment notre marque de fabrique. Nous ne voulons pas faire de compromis sur la qualité gustative de nos tablettes. Nous testons systématiquement nos cacaos à toutes les torréfactions et tous les pourcentages, en lait et en noir. Claire [ndlr : la 3e associée], Laurent et moi dégustons nos essais et généralement, nous sommes tous les trois d’accord sur la façon de travailler chaque fève.

De gauche à droite, Laurent et Bastien Curty, deux des trois cofondateurs de la manufacture de chocolat.

Merci à Bastien et Laurent pour leur accueil et le temps passé à me faire découvrir leurs installations. Leur transparence sur leurs méthodes de travail est à saluer et illustre parfaitement toute l’expertise nécessaire pour réussir à produire un chocolat d’exception.

La note du sommelier
Exigent, mes proches diront sévère, je n'en suis pas moins toujours admiratif du travail des producteurs bean-to-bar, tant ils y investissent d'efforts. Cette fois-ci, j'avoue pourtant avoir été bluffé par le niveau gustatif, surtout si peu de temps après avoir lancé la production. Assurément un producteur à suivre de près, surtout compte tenu de leur énergie créative qui promet encore de belles surprises !

Bord de Mer, chocolat aux algues, par Terre de fèves de Vannes en France

Bord de mer, chocolat aux algues Terre de Fèves
  • Fèves : variété locale Mankuva (hybride Trinitario et Forestero), bio
  • Producteur de cacao : non mentionné
  • Origine : état du Kerala en Inde
  • Pourcentage : 75%
  • Inclusion : algues séchées (aonori et laitue de mer)

Notes de dégustation

La tablette fait déjà de l’œil à travers la fenêtre de son emballage. Le vert intense des algues séchées ressort bien sur la robe foncée du chocolat et attire le regard. A y regarder de plus près on distingue la fleur de sel qui joue avec la lumière. Au nez, le chocolat interpelle et un je ne sais quoi marin transparaît en filigrane. La casse est nette. En bouche, plus de doute, c’est un ovni gustatif. Les algues se mêlent instantanément aux saveurs chocolatées. Les algues apportent des notes de matcha et quelque chose de légèrement iodé, tandis que le chocolat relève le goût avec ses saveurs épicées exaltées par la fleur de sel. Le tout avec un savant équilibre. Le longueur est belle et conserve la rondeur qu’apportent les algues. Très probablement un des chocolats les plus umami que j’aie goûté.

Le petit plus : Comparez l’expérience en laissant fondre la chocolat, puis en le croquant. Cette dernière approche a ma préférence. Les saveurs semblent plus harmonieuses. Côté cuisine, oserez-vous en faire fondre un peu sur une crêpe bretonne ? On en oublierait le caramel au beurre salé…

Bord de mer, chocolat aux algues Terre de Fèves
Bord de mer, chocolat aux algues par Terre de Fèves à Vannes en Bretagne

Mais encore… le chocolat aux algues breton

C’est à l’occasion de vacances en Bretagne que j’ai pu découvrir le travail d’Anne-Laure dans sa boutique-atelier Terre de fèves de Vannes. Une belle rencontre qui n’a fait que confirmer ce que ses chocolats illustrent : un travail pointu et engagé ! Tout y est : les emballages à base cacao recyclé et compostable, la recherche constante pour améliorer le travail des fèves et surtout la passion. Un travail d’autant plus admirable vu la relative jeunesse de la manufacture et la richesse de son assortiment. C’est assurément une chocolatière à suivre, car son travail ne fera que de gagner encore plus en valeur avec le temps.

D’un point de vue créatif, ce chocolat aux algues reflètent une approche intéressante qui valorise un terroir, la Bretagne, sans tomber dans le cliché facile, p.ex. avec du caramel. Cette tablette porte particulièrement bien son nom de Bord de mer.

Le saviez-vous ? Si les algues étaient consommées en période de disette, elles sont aujourd'hui intégrées à la gastronomie bretonne comme en témoigne le site de l'office du tourisme. Au Japon, les algues aonori font partie de la culture culinaire depuis longtemps. Si vous êtes fan de soupe miso, de nombreuses recettes traditionnelle incorporent cette algue. 

Palo Santo par Qantu de Montréal au Canada

Chocolat palo santo de Qantu
  • Fèves : variété locale, le Bagua
  • Producteur de cacao : non mentionné
  • Origine : province de Bagua, dans la région d’Amazonas au Pérou
  • Pourcentage : 70%
  • Inclusion : fumée de bois palo santo

Notes de dégustation

La robe est d’un beau bistre foncé, chatoyant. C’est au nez que ce chocolat se dévoile : un parfum de bois fumé, chaud, relevé d’une touche de cacao. Inclassable. La casse est franche, presque cassante. En bouche, la présence du palo santo est immédiate. Ce goût, mêlé à la texture du chocolat, rappelle l’expérience d’un lapsang souchong, plutôt rond. Le tout parsemé de notes furtives d’agrumes et d’un je ne sais quoi de bergamote qui tire sur l’Earl Grey. Définitivement un chocolat aux accents de five o’clock tea. Le chocolat emplit bien la bouche La longueur en bouche est particulièrement belle, planante.

Le petit plus : Le palo santo de Qantu fera des merveilles à l’heure du goûter, de préférence après un longue balade d’automne en forêt. Ajoutez y une tranche de brioche ou mieux de panettone et le bonheur sera total. Mais surtout prenez le temps…

Chocolat palo santo de Qantu
La tablette de chocolat de Qantu et un morceau de palo santo.

Mais encore… à propos du palo santo et de Qantu

Souvent, lorsqu’un chocolat propose des inclusions avec des produits venant de la région où pousse le cacao, la créativité semble se perdre. Ainsi les cacaos malgaches sont souvent mariés à la vanille locale et les cacaos mexicains au piment. Même si ces associations fonctionnent, elles restent assez convenues. Grâce à Qantu, il est possible de sortir des sentiers battus.

Le palo santo — littéralement le bâton saint ou sacré — est un arbre et n’est pas vraiment connu pour ses vertus gustatives… Pourtant, les souvenirs de la cofondatrice de Qantu, Elfi, l’ont guidée.

« Ma mère priait chaque vendredi en même temps qu’elle brûlait quelques bâtons de Palo Santo et dont l’arôme nous donnais une paix immédiate inexplicable. Un arôme de fleurs, d’agrumes et d’épices qui nous annonçait que c’était le moment de remercier la vie pour être en famille et en bonne santé. »

Elfi Maldonado, cofondatrice de Qantu

Pour en savoir plus sur l’influence des émotions sur la perception du goût, c’est ici.

Outre le fait que le palo santo et le chocolat se marient à merveille pour recréer un expérience forte, c’est aussi une performance technique. Même si le chocolat capture facilement les odeurs, l’exercice n’est pas évident. Premièrement, il s’agît de produire des tablettes au goût constant en travaillant avec… de la fumée ! Deuxièmement, le défi consiste à trouver le bon équilibre. Le palo santo ne ne doit pas prendre le dessus sur le chocolat. Qantu maîtrise le tout avec brio.

Le saviez-vous ? Le palo santo que Qantu utilise provient du nord du Pérou, de la forêt sèche de Dotor dans la région de Piura. C'est dans cette même région de Piura que Qantu se fournit en fèves de cacao pour plusieurs autres de ses tablettes. Cerise sur le gâteau, Qantu reverse une partie du prix de la tablette directement à la communauté qui entretient cette forêt

100% & Nibs Fazenda Sempre Firme et 75% Black Pepper Bejofo Estate par Åkesson de Londres au Royaume-Uni

Chocolat Akesson 100% nibs et 75% black pepper
  • Fèves : forastero brésiliennes pour le 100% et trinitario malgache pour le 75%
  • Producteur de cacao : Åkesson
  • Origine : état de Bahia au Brésil pour le 100% et Bejofo, à Madagascar pour le 75%
  • Pourcentage : 100% (dont 7% de nibs) et 75%
  • Inclusions : nibs de cacao pour le 100% et poivre noir de la même plantation pour le 75%

Notes de dégustation des chocolats Akesson

100% & éclats de cacao : La robe couleur ébène reste étonnamment claire pour un 100% à base de forastero. Le nez intense est envoûtant avec des notes de cacao en poudre et de chocolat. La casse est franche. En bouche, astringence frappe les papille et monte crescendo sans pour autant en faire trop Les nibs se révèlent au fur et à mesure que le chocolat fond et apportent une touche de douceur en plus de leur croquant. Mâché, le chocolat révèlent plus d’arômes : brownies, pointe de cassis, noisettes grillées. Un exercice intense pour les papilles, mais qui confère un je ne sais quoi de gourmand à ce 100%… étonnant ! La longueur en bouche est belle et garde cet équilibre jusqu’au bout.

75% & poivre noir : La couleur chocolat est vite trahie par le nez poivré de cette tablette. La casse est plus ronde. Sur la langue, le poivre prend rapidement ses aises et apporte ses notes typiques fraîches, presque mentholées, et piquantes, mais sans excès. La touche sucrée, chocolatées entre en scène dans un deuxième temps. Une fois encore, c’est mâché, plutôt que laissé à fondre, que le chocolat est le plus équilibré. Le poivre reste longtemps en bouche, peut-être un peu plus que le chocolat, sans tomber dans l’excès. La longueur joue agréablement entre notes fraîches et douce chaleur du poivre sur le palais.

25% de cacao et une touche de poivre séparent ces deux tablettes de chocolat d’Akesson

Mais encore… à propos d’Åkesson et de ses chocolats

Bertil Åkesson est un des piliers du mouvement bean-to-bar actuel. Jouant sur deux tableaux, il fourni plusieurs producteurs en fèves de ses plantations et produit également ses propres tablettes de chocolat. Un délice pour qui souhaite comprendre l’impact du travail du torréfacteur sur le résultat final. Outre ses tablettes carrées frappées d’un Å reconnaissables entre toutes, il prend aussi le parti de créer des chocolats typés qui mettent le cacao au cœur de l’expérience. Difficile de ne pas s’étonner devant la gourmandise de ses éclats de cacao (habituellement si fades chez les chocolatiers-confiseurs) et de ne pas penser au cacao épicé des Mayas avec le poivre. Des interprétations résolument modernes et traditionnelles à la fois qui ne laissent pas indifférent.

Merci à Chocolats du Monde pour ces tablettes.

Flat White Coffee Chocolate par Naive de Vilnius en Lituanie

Flat White Coffee Chocolate Naive
  • Fèves : blend (tenu secret !)
  • Producteur de cacao : secret
  • Origine : Équateur
  • Pourcentage : 61%
  • Inclusions : chocolat au lait et café du Salvador torréfié en Lituanie

Notes de dégustation

La robe brun chocolat donne le ton, c’est un dark milk. Et ce quoi qu’en dise le nom de Flat White donné par Naive. Le nez trahit la présence de café, sans pour autant sacrifier l’impression de cacao. La casse plus molle ne laisse pas de doute : il y a aussi du lait ! En bouche, le café donne ouvre le bal, mais le chocolat n’est pas en reste. Commence alors un tango langoureux. Le chocolat distille des notes fruitées exotiques, qui viennent caresser celles du café torréfié. Le tout sans qu’aucune des deux sensations ne prenne le dessus. La trame est assurée par le fondant lacté qui sert de liant et équilibre la relation en révélant des notes de noix. Le lait ajoute également de la douceur, pour ne pas dire la tendresse. La longueur en bouche est belle, mais difficile à évaluer tant l’envie de se laisser emporter à nouveau est pressante.

Le petit plus : Des dires mêmes du maître chocolatier qui a conçu la tablette, goûtez-la avec un de ces fruit : pêches, pruneaux et abricots. Pour ma part, ce sera la pêche de vigne.

Flat White Coffee Chocolate Naive
J’étais naïf en pensant que je pourrais faire une photo de la tablette avant d’y goûter… L’effet de la Flat White Coffee Chocolate de Naive est terrible…

Mais encore… à propos de Naive et de ses chocolats

Vilnius, la capitale de la Lituanie, n’est pas la ville la plus réputée pour le chocolat… Pourtant, Naive illustre avec brio ce qu’une approche décomplexée du chocolat permet d’achever en terme d’excellence.

Le graphisme de l’emballage attire l’œil et annonce la suite du spectacle. L’intérieur offre une pléthore d’informations intéressantes, sans en faire trop. Puis, une fois révélée, la forme du chocolat interpelle et donne le temps de le regarder. Bien joué ! Finalement, le goût arrive en apothéose. L’expérience de cet ensemble est d’autant plus forte grâce à ce voyage bien pensé.

Gustativement, le mariage — le terme n’a jamais été aussi juste — du chocolat et du café est un exercice de style maîtrisé ici de façon impressionnante. Trop souvent les inclusions ne font que cohabiter avec le chocolat, sans le mettre en valeur. Ici, la gourmandise chocolatée s’associe à merveille au caractère du café pour le plus grand plaisir des papilles. S’amuser à identifier les notes lors de la dégustation est un vrai plaisir.

Cerise sur le gâteau, Naive produit ses chocolats grâce au commerce direct de cacao et réalise ses emballages à partir de matériaux recyclés. Mais mon point préféré reste le fait que le travail et la démarche du chocolatier soit expliqués et mis en avant. J’en oublierais presque ma frustration de ne pas en savoir plus sur l’origine du cacao et sa transformation…

Flat White Coffee Chocolate par Naive
Flat White Coffee Chocolate par Naive vue en entier grâce à DomCzekolady.

Pucallpa par la Chocolaterie de Gruyères en Suisse

Pucallpa de Chocolaterie de Gruyeres
  • Fèves : Non mentionné (probablement Trinitario local)
  • Producteur de cacao : Inconnu
  • Origine : région de Pucallpa, dans l’Amazonie préuvienne
  • Pourcentage : 75%

Notes de dégustation

La robe marron cacao profonde contraste avec le nez léger, plutôt fruité et acidulé. La casse est presque un peut trop effilochée, tant la tablette est fine. Attention, elle fond très facilement entre les doigts. En bouche, c’est heureusement plus lent. Vient d’abord une sensation de cacao, presque comme délayé dans de l’eau, qui domine avant que n’arrive une impression fruitée, mêlée de noix grillées (cacahuètes ?) et un je ne sais quoi de zeste de citron. La texture est très tannique, astringente et empli la bouche. La longueur n’a rien à envier en termes d’intensité et de caractère. Le terme de torréfaction douce semble presque incongru pour décrire cette tablette. Une création qui sort des sentiers battus en terme de goût et mériterait une torréfaction encore plus travaillée.

Le petit plus : Réservez ce Pucallpa de la Chocolaterie de Gruyère pour une dégustation en apéro avec un morceau d’Époisses pas trop affiné ou après le repas avec un verre de cognac.

Un format généreux pour la tablette Pucallpa de la Chocolaterie de Gruyère, mai très (trop ?) fin.

Mais encore… à propos de la Chocolaterie de Gruyères en Suisse

Haut lieu du tourisme helvétique, le village de Gruyères a trop longtemps été associé à la visite de la fabrique Cailler, non loin de là. Malgré tout le marketing déployé par la maison mère Nestlé, il s’agît bien de visiter une usine de production de chocolat industriel. Le fait qu’une chocolaterie à Gruyères même, qui plus est bean-to-bar, soit accessible aux hordes de touristes est donc une excellente nouvelle ! Mon regret principal est que l’artisan ne mette pas mieux en valeur son travail. Il ne fait nulle mention de la variété de cacao sélectionnée, de son origine et des détails de torréfaction et de conchage. C’est d’autant plus regrettable que dans l’usine industrielle voisine l’illusion de savoir d’où vient le cacao et comment il est transformé méprend à merveille les visiteurs. La Chocolaterie de Gruyères a pourtant tout pour faire mieux. Le chocolat suisse artisanal semble toujours être timide lorsqu’il s’agît de se démarquer.

La formule fonctionne malgré tout et la chocolaterie ne désemplit pas, proposant même des glaces en été. Attention toutefois aux étiquettes : plusieurs chocolats sont faits à base de couverture Felchlin,. Ils ne portent pas la mention bean-to-bar.

Création pour le Rallye du chocolat de Zurich par Kürzi

Création de Kuerzi au Rallye du chocolat de Zurich
  • Fèves : Trinitario tanzaniennes
  • Producteur de cacao : Kokoa Kamili cooperative
  • Origine : vallée du Kilombero au centre de la Tanzanie
  • Pourcentage : 72%
  • Inclusions : orange sanguine, caramel et éclats de fèves de cacao

Notes de dégustation

La robe sombre est typique de ces fèves tanzaniennes qui sont très riches en notes délicates. Au nez, la sensation de chocolat se mêle à une impression gourmande. La casse est franche. En bouche, c’est d’abord la texture qui frappe avec ce fort contraste entre le chocolat d’un côté très lisse et de l’autre très structuré avec le saupoudrage des inclusions en surface. Cette sensation donne confère un côté biscuit à la tablette. Les papilles sont également mises à contribution : l’orange sanguine donne le ton, alors que le caramel adoucit les éclats de fève de cacao pour équilibrer le tout. Le chocolat reste presque un peu trop en retrait dans cette symphonie de saveurs. Il revient toutefois en fin de bouche pour donner de la longueur et donner envie d’en reprendre juste un morceau pour goûter. Très sucrée cette création de Kürzi pour le Rallye du chocolat de Zurich s’adressait manifestement à un grand public en besoin de douceur. Mission accomplie.

Création de Kuerzi au Rallye du chocolat de Zurich
Création de Kuerzi pour le Rallye du chocolat de Zurich 2022

Mais encore… à propos du Rallye du chocolat de Zurich

Le Rallye du chocolat de Zurich du printemps 2022 était non seulement une première dans cette ville, mais aussi une première parce qu’il proposait une catégorie dédiée spécialement au bean-to-bar. La plupart des participants de cette catégorie ont joué la sécurité en proposant une création déjà rodée. Britta Kürzi de la maison éponyme a relevé le défi avec plus d’audace. Le thème était agrumes et éclats de fèves de cacao. Partant de sa tablette noire avec du cacao tanzanien, elle a décidé de réaliser une création pour l’occasion. En tant que membre du jury et connaissant les contraintes d’autant plus fortes des petits producteurs bean-to-bar, je suis d’autant plus sensible à l’effort particulier de Britta. A mon avis, elle est restée un peu trop proche d’une clientèle sensible à la douceur. Elle a ainsi sacrifié un peu trop de l’équilibre entre l’inclusion et le chocolat. Toutefois, j’espère qu’elle inspirera d’autres producteurs à sortir de leur zone de confort et d’oser ce genre de mariage. Son travail reste malgré tout bien plus intéressant que ce que réalisent les chocolatiers travaillant uniquement de la couverture.

Mexico Almendra Blanca par Goodnow Farms de Sudburry, USA

Mexico Almendra Blanca Goodnow Farms
  • Fèves : Porcelana (ou Almendra Blanca)
  • Producteur de cacao : Hacienda Jesus Maria de Vincente Cacep
  • Origine : Villahermosa, Tabasco, Mexique
  • Pourcentage : 77%

Notes de dégustation

La robe chocolat au lait saute aux yeux ! Pour un chocolat noir qui flirte avec les 80%, c’est particulièrement marquant. Au nez des notes de raisins sec et de figues séchées donne une impression très gourmande. La casse est très nette pour une tablette aussi fine et aussi… lactée en apparence. Sur la langue la texture soyeuse contraste avec les notes épicées qui distillent une impression pimentée et poivrée. Au fur et à mesure que le chocolat fond, les sensations fruitées ressenties au nez viennent compléter le tableau. Équilibré, l’ensemble garde pourtant quelque chose d’agréablement insaisissable qui donne envie d’y goûter encore. D’ailleurs, au deuxième round, les touches fruitées gagnent en clarté, faisant ressortir une saveur de framboise. Discrète, la longueur en bouche n’en reste pas mois belle et fraîche. Ce caractère insaisissable constitue la signature de ce chocolat unique.

Le petit plus : Laissez fondre en bouche un morceau jusqu’à ce que les arômes se déploient pleinement, puis, ajoutez y une pointe de lait condensé. Moment régressif garanti ! Attention à doser de façon homéopathique le lait condensé dont la sucrosité ne doit pas prendre le dessus.

Mexico Almendra Blanca Goodnow Farms
Un chocolat noir intense qui se cache sous la robe d’un chocolat au lait

Mais encore… à propos de Goodnow Farms et des cabosses blanches d’Almendra Blanca

Cette tablette a tout de suite attiré mon attention, car les chocolats produit à partir de fèves Porcelana ou blanches de la région de Tabasco m’ont toujours beaucoup plu et sortent de l’ordinaire. Goodnow Farms au Massachusetts, non loin de Boston, a su tirer tout le potentiel de ce cacao d’exception et leurs nombreuses récompenses témoignent de leur talent. Si les fruits du cacao peuvent présenter des couleurs allant du jaune canari au violet intense, ces cabosses blanches détonnent, même dans le bestiaire du cacao. Cette particularité est due à une mutation génétique naturelle qui modifie leur pigmentation, de façon similaire aux animaux albinos.

Cette différence s’exprime aussi au niveau gustatif avec des fèves moins astringentes et souvent au goût très fruité. Il n’est pas rare que les tablettes qui en sont constituées soient également plus claires, car contenant probablement moins de tannins. Les fèves de ce type sont en quelque sorte l’équivalent des variétés de raisin donnant du vin blanc sous nos latitudes. Connaissant la variété des cépages et les variations des millésimes, je vous laisse imaginer ce qu’il en est avec le cacao qui s’hybride très facilement et se récolte plusieurs fois par an…

Cabosse d’Almendra Blanca au Mexique, crédit Goodnow Farms

Fazenda Vera cruz Brazil 70% par Laflor de Zurich en Suisse

  • Fèves : Superior da Bahia (hybride local de forastero et trinitario) bio récolte 2019
  • Producteur de cacao : ferme Vera Cruz en agroforestrie
  • Origine : état de Bahia à l’est du Brésil
  • Pourcentage : 70%

Notes de dégustation

La robe brun caramel donne un aspect gourmand à cette tablette très rectiligne. Au nez, cette impression se confirme avec un parfum sucré, presque de miel. La casse est discrète compte tenu de la finesse de la tablette. En bouche les sensations se dévoilent très vite notes douces, épicées et florales se complètent. Les impressions fruitée suaves se mélangent à une pointe de clou de girofle. C’est en finale qu’arrive une agréable sensation de sureau et de cassis. L’équilibre du tout est parfait pour le plus grand plaisir des papilles. Un chocolat qui disparaît très vite… trop vite… heureusement, la belle longueur en bouche fait durer le plaisir.

Le petit plus : faites fondre un morceau sur la langue et croquez un petit bout d’une fraise de saison bien mûre, de sorte à avoir à peu près la même quantité de chaque. Les deux se marient avec délice !

Un chocolat aussi agréable à l’œil que sur la langue.

Mais encore… à propos de LaFlor et du cacao de la Fazenda Vera Cruz

L’approche de LaFlor est particulièrement intéressante en terme de relation avec les producteurs de cacao. Ainsi, ce cacao est acheté directement au producteur qui gère la Fazenda Vera cruz, qui en plus de travailler en agroforesterie, c’est-à-dire sans monoculture, a également une partie de ses terres qui sont protégées et laissées à la nature. Une approche qui se reflète chez LaFlor, qui a utilisé du sucre suisse bio pour ce chocolat protégé par un emballage entièrement recyclable et compostable. Mon seul regret et de n’avoir aucune indication quant à leur travail en terme de torréfaction et de conchage. Un manque bien vite oublié vu la qualité du résultat final, qui a d’ailleurs été soulignée à l’unanimité par le jury du Rallye du Chocolat de Zurich 2022, dont il est sorti vainqueur. Cette création est mettre en perspective avec les autres chocolats de la région zurichoise dont je parlais dans cet autre billet.

Le chocolat suisse existe-t-il ?

Sprüngli, Oro de Cacao, MayOro, Garcoa packaging

Si la réputation suisse en matière de chocolat industriel a malheureusement encore de beaux jours devant elle, parler de chocolat suisse est aussi absurde que de parler de vin français. Le terme est tellement générique et galvaudé qu’il ne veut absolument rien dire… à moins que… En se penchant sur la scène bean-to-bar helvétique, il est possible d’en identifier quelques particularités qui expliquent son retard sur ce qui se fait ailleurs, mais aussi et surtout sa minutie et son penchant pour l’innovation. Le chocolat suisse serait-il en train de retrouver une identité grâce au bean-to-bar ?

Faisons le point avec cette quadrilogie zurichoises aux écrins roses dont la teinte estivale est parfaitement de saison.

Baracoa 70% par Sprüngli x Felchlin de Zürich

Le classicisme suisse à son acmé.
  • Fèves : trinitario natif cubain
  • Producteur de cacao : producteur locaux via Felchlin
  • Origine : Province de Guantanamo à l’est de Cuba
  • Pourcentage : 70%

Notes de dégustation

La tablette d’un brun chocolat profond donne envie. Au nez, une note légèrement acidulée de cacao domine. La casse nette contraste avec la texture très soyeuse. Les premières notes partent sur de la noisette grillée, puis évoluent vers des notes fruitées douces de poire et de pruneau pour terminer sur une impression chocolat intense à la longueur agréable. Un chocolat agréable, presque un peu trop timide vu son potentiel.

Si le moulage de la tablette rend hommage aux cabosses de cacao, dommage qu’il n’en soit pas fait de même pour les producteurs, aucune information n’étant disponible à ce sujet. C’est là toute l’ambiguïté de Felchlin qui fournit un chocolat de couverture souvent excellent aux chocolatiers, comme ici Sprüngli, tout en restant en retrait en terme de visibilité pour le grand public. La mise en valeur de la filière cacao en souffre sensiblement, notamment avec l’impossibilité d’avoir ces informations en magasin ou sur le site internet des chocolatiers. Il en résulte aussi des chocolats un peu timorés, pour plaire à une clientèle large. Saluons toutefois l’effort de Sprüngli pour son packaging recyclé et recyclable, ainsi que sa valorisation de l’expérience sensorielle grâce à la possibilité de s’immerger dans la forêt cubaine avec cet enregistrement audio. Pour en savoir plus sur l’impact de la musique sur le chocolat, découvrez ces conseils dédiés au sujet.

Arriba Nacional 76% par MayOro x SchoggiBar de Zollikon

Derrière ces carrés surannés se cache un positionnement original.
  • Fèves : arriba nacional équatoriennes, récolte saison de pluies 2019, fermentées 4 jours, torréfiées 48 minutes à 90°C et conchées 5 heures.
  • Producteur de cacao et du chocolat de couverture : Piedra de Plata
  • Origine : montagne de l’ouest de l’Équateur
  • Pourcentage : 76%

Notes de dégustation

Carrée, la tablette est assez simple. Brun foncé tirant sur l’ébène son nez est complexe: notes de cacao, fleurs, fruits. La casse est sonore et révèle une sensation de cacao et noix torréfiées soulignée par des notes de chèvre-feuille qui tendent vers une pointe de zeste de citron. Une impression parfumée avec un léger accent poivré reste en bouche. Un chocolat agréable et envoûtant qui ne demande qu’à être goûté encore et encore.

Produit sur place, cacao bio payé plus cher, variété locale cultivée en agroforesterie, emballage minimaliste et recyclable, possibilité de découvrir les producteurs via un QR code… autant d’éléments qui placent ce micro-batch aux avant-postes de ce qu’offre de meilleur le chocolat bean-to-bar. Cette approche transparente et collaborative avec les producteurs est particulièrement originale. L’équipe 100% féminine de Schoggi Bar trouve ainsi une niche pour se développer sur le marché zurichois très concurrentiel du chocolat. Bravo !

Idukki mit nibs 78% par Garçoa de Wollishofen

Une tablette montagneuse comme la Suisse… à dessin !
  • Fèves : hybride forastero et trinitario, fermentées 4-5 jours et séchées au soleil
  • Producteur de cacao : Highrange Organic Producers Society Adimali via la coopérative GoGround
  • Origine : état du Kerala en Inde
  • Pourcentage : 78%

Notes de dégustation

Noir ébène, la tablette a un nez intensément cacao de par les éclats de fèves qui la recouvre au dos. La casse franche est suivie en bouche par une sensation fondante lente. Les notes de développent lentement, mais avec assurance. Des notes boisées et poivrées se mêlent aux sensations torréfiées des éclats de cacao. Une impression fugace de banane séchée et d’épices complète le tableau. Une tablette à la gourmandise atypique.

La tablette géométrique aux triangles texturés et aux épaisseurs variables a été conçue dans un but bien précis : exalter l’expérience gustative en permettant au chocolat de fondre rapidement là où il est fin et de croquer là où il est épais, tout en donnant à la langue envie d’explorer ses textures. Une approche typique de Garçoa qui met en avant les producteurs de cacao de la récolte jusqu’au produit final. Un bel exemple de la minutie toute helvétique appliquée au chocolat.

Peru 78% par Oro de cacao x Dieter Meier de Freienbach

Un chocolat au procédé de fabrication tenu secret.
  • Fèves : non spécifié (bio et fair trade)
  • Producteur de cacao : inconnu
  • Origine : Pérou
  • Pourcentage : 78%

Notes de dégustation

Le brun foncé intense de la tablette donne quelques légers reflets acajou. La finesse du chocolat amolli considérablement la casse. Au nez les notes boisées de cèdre et de santal dominent. En bouche, c’est une impression de fraîcheur qui frappe, presque alcaline, suivie des mêmes notes boisées qui semblent enveloppées dans une agréable sensation de chocolat. La texture détonne. Bien que fondante, elle diffuse un je ne sais quoi de pâteux. Le chocolat est plus intéressant à mâcher. Un chocolat complètement atypique et certainement clivant, mais qui a le mérite de questionner la standardisation suisse du chocolat.

Derrière un brevet, c’est surtout un mystère qui se cache avec Oro de cacao. En effet, la marque du flamboyant Dieter Meier a breveté un procédé unique durant lequel de l’eau est ajoutée au cacao non-torréfié avant que le tout ne soit broyé pour en extraire les différents composants qui seront remélangés pour en faire du chocolat… Compte tenu du désamour entre le gras du cacao et l’eau, le procédé tient de la magie noir pour tout producteur de chocolat. Dommage que cette inventivité typiquement suisse ne s’accorde pas avec plus de transparence sur le cacao et ses producteurs, voire sur le procédé en question.

Y a-t-il une particularité du chocolat suisse au final ?

Quelle tablette est la plus suisse ? Toutes ou aucune, c’est selon.

Au sens d’un procédé unique ou d’un goût typique, non. Même si le côté fondant est un héritage encore bien présent grâce au secret longtemps gardé à l’époque lors de l’invention du chocolat au lait, c’est avant tout une préférence de la clientèle. De plus, cette tendance change selon les régions suisses et évolue avec le développement du bean-to-bar. Toutefois, cet ancrage historique explique la lenteur tout helvétique pour adopter ces nouvelles approches. Heureusement, le penchant pour l’innovation technique, la minutie et la possibilité de commercialiser des produits relativement haut de gamme sur le marché local permettent aux producteurs de sortir de ce carcan de façons souvent inattendues. Si la durabilité et la responsabilité sociale ne devaient pas suffire à convaincre les plus réticents, la possibilité de découvrir des produits uniques devrait être un argument de poids pour s’aventurer hors de sentiers battus des chocolatiers de quartier qui ne proposent que des tablettes au chocolat de couverture similaire.

Et vous, quel est le chocolat suisse qui vous a le plus étonné ?

Remerciements

Merci à Lise du Rallye du Chocolat de Zurich de m’avoir donné l’opportunité de découvrir certains de ces producteurs lors du jury de cette année auquel j’ai eu le plaisir de participer.