Quel est le rôle des émotions dans la perception du goût ?

La description d’un chocolat parait souvent difficile de premier abord. Il y a tant de termes subtils pour parler des notes, des odeurs, des couleurs et des textures. Mais comment trouver le mot juste ? En bref, avec beaucoup de pratique. Dans les faits, il s’agit d’exercer sa mémoire sensorielle et, comme souvent, les émotions jouent un rôle particulier dans ce processus. Preuve en est avec la célèbre — pour ne pas dire surfaite — madeleine de Proust.

En Suisse, nombreux sont ceux qui associent le chocolat à un simple morceau posé sur du pain. Gourmandise reine à l’heure du goûter, ce chocolat est celui de l’enfance. Un souvenir aussi intense qu’agréable. La force d’un souvenir est telle qu’elle peut même sublimer la réalité. Par exemple, longtemps, j’ai trouvé le chocolat de l’armée délicieux, car ramené par mon père à son retour de caserne. Lorsque j’ai eu l’occasion de le goûter à nouveau des années plus tard, c’était la douche froide… Un chocolat insipide (1) comparativement aux chocolats que j’apprécie aujourd’hui.

Capitaliser sur la mémoire sensorielle

Au-delà des liens avec le passé, les émotions permettent surtout de puiser dans un vocabulaire qui nous est propre. De la sorte, il est alors possible de partager avec ses propres mots une sensation. Si un chocolat décrit comme ayant « une touche de vanille polynésienne » vous semble plutôt abscons, c’est normal. En revanche, si vous êtes un expert en vanilles ou que cela vous rappelle la vanille goûtée durant votre voyage de noces, alors cette comparaison sera parfaitement naturelle.

Pour décrire une impression sensorielle, le but est de pouvoir accéder un maximum à ces points de comparaison. Ainsi, la plupart d’entre nous aura une idée assez précise de l’odeur dégagée par une route sur laquelle les gouttes d’une averse tombent un après-midi d’été. De même, la sensation « métallique » d’un morceau de feuille d’aluminium en bouche est aussi assez commune, tout comme la couleur et le goût caramel particulier d’un Carambar.

Pouvoir s’affranchir du qu’en dira-t-on permet de gagner d’autant plus en précision. Parfois le souvenir invoqué est même très personnel, mais correspond parfaitement. Ainsi, lors d’une dégustation, quelqu’un a dit d’un chocolat de Papouasie qu’il le transportait littéralement dans les bras de sa mère. Pourquoi ? Parce que la robe de sa mère sentait la fumée et que ce chocolat avait des notes de tabac et de cendre. Autant dire que ce chocolat est devenu son préféré…

Crise de nerfs et de chocolat

Si les émotions créent des souvenirs particulièrement forts (2), être conscient de cet effet est permet de le mettre à profit pour déguster du chocolat. Plusieurs scenarii sont possibles dans ce cas :

L’attention

Être attentif aux émotions provoquées par une tablette particulière. Parfois un je ne sais quoi vous arrête sur un chocolat, sans savoir pourquoi. Ne cherchez pas à trouver des termes gustatifs, raccrochez-vous plutôt à ce que vous ressentez et essayez de trouver le souvenir qui provoque cette sensation. Une fois identifié, ce souvenir vous sera d’une aide précieuse pour mettre des mots sur ce qui transporte vos sens.

Les a priori

Prendre conscience des a priori émotionnels. Nous avons tous des goûts hérités de notre enfance, tant positifs que négatifs. Ces souvenirs peuvent être tellement enracinés, que leur évocation par l’emballage d’un chocolat peut vous influencer inconsciemment avant même d’y avoir goûté. Connaître ces a priori permet d’être conscient de ces biais et de les contre-balancer, ne serait-ce qu’en partie.

L’état d’esprit

Évaluer son état émotionnel avant de déguster du chocolat. Si les odeurs environnantes ou le fait d’avoir faim influence grandement nos sens, il en est de même pour notre état d’esprit. Non seulement celui-ci aura un impact sur nos sens, mais il pourra aussi bloquer ou favoriser de façon partiale certains de nos souvenirs en nous privant ainsi d’une partie de notre mémoire sensorielle.

Photo d’Elisa Ventur via Unsplash

Le statut d’aliment réconfortant du chocolat est certainement un autre biais. Au-delà des vertus d’antidépresseur, surtout vantées par des études financées par les industriels, c’est essentiellement le sucre qui nous attire dans ces moments… Si vous avez particulièrement envie de chocolats plus sucrés, cela peut être un indice. Mettez alors de côté votre session un brin intellectuelle de dégustation de chocolat et fondez pour un pur moment de plaisir sans culpabilité. Le chocolat est cet ami qui sait autant défier vos sens que vous réconforter. Pourquoi s’en priver. Finalement, n’hésitez pas à utiliser la mémoire sensorielle pour jouer avec vos sens, par exemple en écoutant de la musique.

Et vous, quel est votre meilleur souvenir associé à un chocolat ?

(1) A ceux qui me diront que le chocolat de l’armée a vu sa recette changer pour devenir plus nourrissant, mon propos reste valable ayant pu tester le chocolat avant le dit changement de recette.

(2) Pour en savoir plus sur les liens entre émotions, perception et mémoire, cet article de Swiss Medical Weekly fait le point : https://smw.ch/article/doi/smw.2013.13786 (en anglais)

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